QUAND UNE IMAGE VAUT MILLE MOTS – ENTREVUE AVEC MARSI

Bonjour Marsi! Merci beaucoup d’avoir accepté cette entrevue. Pourrais-tu d’abord me parler un peu de toi?

J’ai passé toute mon enfance à Sherbrooke bien que je sois né à Montréal. J’ai fait mon secondaire au Séminaire Salésien puis je me suis dirigé en Sciences pures au cégep. Après, je me suis dirigé à l’université en physique, mais j’ai quitté au bout d’une semaine seulement. Grosse remise en question ! Cette prémisse a son importance, car elle démontre à quel point je demeure un scientifique manqué. En fait, plus que tout, j’adore la science ! Surtout les sciences physiques (toujours), mathématiques, astronomiques et de la nature. J’ai toujours cru que cet abandon relevait du fait que j’avais et ai encore beaucoup de difficultés à accepter d’emblée, voire à assimiler, les notions abstraites. Je suis un visuel extrême ! Par contre, je ne peux me libérer de la fascination que la science me procure.

Par la suite, je me suis dirigé en graphisme, d’abord trois ans au cégep puis trois autres années à l’UQAM pour finalement obtenir mon bac en 1991. C’est alors que j’ai pris la tangente « illustration ». J’ai, en premier lieu, travaillé six ans comme assistant-illustrateur avec Suzanne Duranceau, l’une des fondatrices de l’Association des Illustrateurs et Illustratrices du Québec. Ensuite, j’ai surtout vécu de contrats jusqu’en 1999, date où j’ai intégré pour six années encore le milieu du dessin animé.

En 2004, Venise et moi avons quitté pour de bon Montréal pour venir nous établir en Estrie. C’est à ce moment que j’ai sauté à pieds joints dans la bande dessinée.

Ici, à l’Association, on te connait principalement comme bédéiste. Est-ce un genre qui t’a toujours allumé ? À quand remonte ton intérêt pour la BD ?

Quand j’étais tout jeune, j’entretenais un vif intérêt pour la BD dite franco-belge et spécialement pour Tintin. On dirait que les gens de mon âge se divisent en deux groupes bien distincts : les Astérix et les Tintin. Bien que j’aimais Astérix, j’ai toujours été plus attiré par les personnages d’Hergé. Franquin et ses Gaston, Spirou et compagnie (personnage qu’il avait repris) me plaisaient particulièrement. Par la suite, durant ma jeunesse et ce, jusqu’à ce que je me retrouve dans le milieu du dessin animé, j’ai délaissé la BD. Mais le dessin animé est un endroit où foisonne l’intérêt pour le 9e art et de ce fait j’y ai attrapé la piqûre. Tout d’abord pour un auteur de génie : Régis Loisel. Puis, en approfondissant davantage le genre, je me suis taillé un goût pour ce qu’on appelle aujourd’hui le roman graphique. Une discipline incontestablement riche en faits marquants et en anecdotes de toutes sortes et qui semble se développer sans fin. Le roman graphique, c’est de la fiction mais aussi du récit adapté à toutes les sauces. Ce qui définit le genre est sans doute la densité de l’œuvre qui souvent se décline en peu de volumes, voire un seul. Du bonbon pour les lectures de chevet.

Qu’est-ce que t’apporte ton art ?

Un plaisir indéniable, d’abord. Donc, la satisfaction de créer, d’avoir toujours le cerveau occupé à quelque chose; à chercher une idée, une avenue, un Graal. Certains ne peuvent s’empêcher de bouger, d’être actifs, de bâtir et de réparer, eh bien, c’est la même chose pour moi mais en esprit. On parle ici de BD, mais c’est tout aussi vrai pour le dessin et pour la peinture. En fait, ces branches de l’art pictural s’amalgament pour ne former qu’un seul et même ensemble dans ma tête. Tantôt, je surfe sur une vague, tantôt sur une autre, mais c’est toujours le même océan. Le tout est alimenté par mes lectures qui sont souvent d’ordre scientifique, ou par mes observations du quotidien. En fait, mon art, c’est ma nature. Il et elle doivent s’exprimer, c’est impératif et ce sera le cas tant et aussi longtemps que je respirerai. Lire ici : pas de retraite à l’horizon !

Quant à savoir si j’y éprouve parfois du déplaisir, oui, parfois, mais celui-ci s’efface assez rapidement. Par exemple, il arrive que des sujets de contrat ne me touchent guère, par contre, j’arrive toujours à y dénicher ou à y introduire une part de quelque vision qui satisfasse un tant soit peu mon bon plaisir.

Pourrais-tu me parler un peu de tes processus de création ? Plus concrètement : comment te prépares-tu pour créer ?

En fait, je fabrique beaucoup dans mes carnets de notes/dessins. Je les traîne partout, ou presque. Ce sont mes antres de développement. J’adore les carnets ! C’est dans ceux-ci que je crée mes personnages, histoires et historiettes ou gags. C’est un « lieu » facile d’accès et qui regroupe tout. Mais, lorsque je dois quitter ces pages si précieuses, je construis littéralement un petit exemplaire de la BD à venir, exemplaire qui regroupera la suite du développement, c’est-à-dire le découpage assez précis de l’histoire. Cela fait de beaux objets. Je ne l’ai pas toujours fait, car cela ne s’y prêtait pas selon le type d’ouvrage, mais ma prochaine BD se développera certainement autour de l’un de ces proto-exemplaires. En fait, autant dans les pages de mes carnets que dans ceux des petits livres, j’avance par touche, du coq-à-l’âne. Tantôt je travaille un personnage, tantôt le texte, tantôt c’est autre chose qui capte mon attention. Au final, c’est dans ma tête que tout se joue. Ce n’est pas toujours devant la page que je prends une décision et que l’unité se produit. Est-ce à dire que je n’ai pas de structure claire ? Bien, oui. Je n’ai pas, comme certains, de façon précise, de recette établie. Peut-être qu’un jour il se dégagera de mon processus que je trouve parfois alambiqué une marche à suivre plus définie.

Dans ce même ordre d’idées, peux-tu me parler de la façon dont Salades d’Amphibie (2018) a été construit ? De tes inspirations ?

Sanfroy, le personnage principal, existe depuis belle lurette. Salades d’Amphibie et ses autres personnages sont venus se greffer à lui en cours de route. C’est dans les années 90 qu’il est apparu (autour de 1994). Il faisait suite à quelques personnages tentés mais non aboutis : Sorbet, le bonhomme de neige; Sushi le Rouge, le poisson rouge et quelques autres. Sanfroy est venu au monde, a pris plusieurs formes pour, en définitive, prendre son aspect final vers 2011, mais non sans inspirer au passage le personnage chevalin de Coco Météore qui porte, avec son acolyte Pouet, l’histoire de Miam Miam fléau. Par ailleurs, si je reviens à l’essence même de Sanfroy, je peux affirmer qu’il trouve son lien de parenté le plus probant chez le personnage de La Linéa du dessinateur et artiste italien Osvaldo Cavandoli et qui est apparu en 1971. Je pouvais le voir, dans mon enfance et ma jeunesse, sur les ondes de Radio-Canada, dans l’émission Bobino.

Je ne peux passer sous silence l’influence d’Hergé (même si elle moins apparente dans Salades d’Amphibie) et celle d’André Franquin sur mon travail. Salades d’Amphibie s’inspire notamment du style de Franquin. Je le constate et me le remémore aujourd’hui en me repassant certaines de ses planches. Je vois que je cherche souvent à reproduire cet effet admirable que l’on retrouve dans la ligne « franquine ». Franquin était un génie de la plume. Il dépassait, en ce sens, les oiseaux. Voir et revoir ses Idées noires, un jalon dans le monde de la bande dessinée !

Je ne peux dire avec précision, quand l’Amphibie est née. Seulement, des gags sont apparus et ont, petit à petit, formé l’univers de Salades d’Amphibie. D’abord sur un blogue éphémère, puis sous la forme de livre. Je me souviens que tout a été très vite et a pris son essence dans le monde de l’écologie. L’Amphibie, c’est un monde de gags mais aussi un monde qui tend à disparaître. C’est un monde extrêmement fragile, sans message autre que celui d’être. Si un jour cette BD doit être porteuse de quelque signification que ce soit, qu’elle devienne tranquillement mais sûrement porte-parole des écosystèmes qui nous charment et qui nous sont si précieux.

Qu’est-ce qui te semble le plus naturel chez toi : le dessin ou l’écriture ? Selon toi, qu’est-ce l’un apporte à l’autre ?

Oh ! Le dessin, sans aucune espèce d’hésitation. Je peux critiquer des œuvres picturales sans complexe, même celles des grands maîtres. En ce sens, je sais parfaitement ce qui me plaît et ce qui me rebute. Par contre, pour ce qui est de l’écriture, je suis beaucoup moins certain de moi. L’écrit ne m’est pas naturel. Je peux hésiter longtemps face à un texte. Je peux être très influençable dans ce domaine. Mais j’y parviens, peu à peu, surtout avec ma Venise en coulisse qui en sait plus que moi à ce niveau.

Est-ce que l’image a besoin du texte ou vice-versa ? Dans la BD, l’image est fondamentale, le texte non. On a déjà vu des BDs sans texte, mais jamais sans images; ce serait un non-sens. Le texte vient asseoir l’image. Il vient la préciser. Elle fait partie de la narration et est une prise de position. Je conçois une BD et, dans cette BD, il y aura du texte. Je conçois donc en fonction de cela. Ou je conçois une BD sans texte. C’est à peu près l’inverse pour le roman illustré ou le livre pour enfant où le texte a préséance. Il faut se rapporter au terme : bande dessinée et non bande écrite.

Par contre, les bons textes font souvent de bonnes bandes dessinées alors que les bons dessins peuvent faire de piètres œuvres. Tout est une question de narration et donc de découpage, de rythme. Un texte peut être un catalyseur très efficace pour établir une histoire alors que, sans texte, une image doit être très complète afin de se suffire à elle-même et de traduire efficacement une histoire.

Selon toi, qu’est-ce qui différencie la BD d’un autre genre littéraire en ce qui concerne les processus créatifs ?

Pas grand-chose. Je crois que les processus créatifs se conjuguent essentiellement de la même manière que l’on soit romancier, bédéiste ou poète. La création n’a pas de genre, pas de nombre, pas de goût pour une ou l’autre des disciplines. Je crois qu’un bon écrivain et bon créateur d’histoire serait un excellent musicien et donc compositeur s’il en avait la capacité. La création est quelque chose qui relève beaucoup de la sensibilité et de l’acceptation ainsi que de la générosité d’offrir, de donner accès aux gens à cette sensibilité. C’est comme une prise de courant qui possède un grand potentiel. Elle a le pouvoir de faire fonctionner tous les appareils pourvu qu’on y branche la prise. Le reste, c’est de la technique. C’est important la technique. Il faut la posséder sur le bout des doigts pour finalement s’affranchir de la réflexion qu’elle exige au départ. Cette possession ouvre grand la porte, au final, à la création.

Merci beaucoup, Marsi, pour ces belles réflexions sur la création!

Marsi est un artisan de la ligne et du point. Il dessine comme certains parlent, abondamment. Salades d’Amphibie, sa dernière et sixième bande dessinée est le projet qui l’a habité la moitié de sa vie. Les versions de Sanfroy, une salamandre sur deux pattes abondent mais la ligne conductrice demeure : l’amour infini de la nature. Les éditions Chauve-Souris ont donné à Marsi une collection, ses fans attendent donc avec impatience le tome 2 qui sortira en octobre 2019.

Toujours penché vers l’infiniment petit et soulevé par l’infiniment grand, Marsi crée des bêtes à la bouille dégoulinante, ou toute en finesse. En parallèle à la vie trépidante de Sanfroy, il crée des tableaux animaliers à la pointe fine. Cette collection a l’heur de plaire à tous les amoureux de safari papier.

 

Crédit photo : André Roy

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