La Grande Entrevue avec Sarah Rocheville

A.R. Sarah,

S.R. Ariane,

A.R. Tu as publié plusieurs nouvelles et un essai consacré à l’œuvre de Louis-René des Forêts, Études de voix. Tu es aussi cofondatrice des Cahiers littéraires Contre-jour et professeure de littérature à l’Université de Sherbrooke. Go West, Gloria ton premier roman, vient de gagner le prix Alfred-Desrochers de l’AAAE.

S.R. Oui!

A.R. D’où te vient ce goût pour l’enseignement, la littérature ?

S.R. J’enseigne parce que j’aime étudier les textes et j’écris parce que j’aime lire. Ma réponse semble contradictoire mais le goût que j’ai de la littérature, c’est-à-dire l’envie que j’en ai, je dirais même l’appétit, me vient vraiment de la lecture des grandes œuvres. Ce sont elles qui m’apprennent ce que je désire transmettre et c’est à leur contact que je me mets écrire et que je me console.

A.R. Marguerite Duras disait, en parlant de l’écrivain, qu’« écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. » Elle en parlait comme d’un être curieux et souvent contradictoire. Cette définition rejoint-elle ta posture d’écrivaine, ta vision de l’écriture?

S.R. J’aime me rappeler que la littérature est un matériau sonore. Jusqu’à récemment d’ailleurs, les lecteurs prononçaient les textes à haute voix pour les entendre. Aujourd’hui, dans notre modernité avancée, nous lisons en silence, mais nous entendons tout de même beaucoup de choses dans le silence apparent de notre lecture. Les personnages ont une voix, la narration a une voix, l’écriture d’un auteur a une sorte de tonalité qui lui est propre (ce qu’Edmond Jabès appelle la « voix d’encre »). Écrire, c’est se mettre au service de ces voix afin qu’elles se manifestent. En cela, je me sens proche de Marguerite Duras.

A.R. Une chose qui semble ressortir de ton roman est la beauté saisissante des paysages, ta maîtrise de la langue. Dirais-tu que les mots te viennent avant l’histoire, ou l’inverse? D’où te vient cette rigueur de l’écriture?

S.R. Pour moi, ce qui est beau et réussi dans un livre est toujours lié à ce qui est réel. Si un paysage surgit tout à coup sous les yeux de lecteurs, c’est que la langue a réussi à se faire suffisamment transparente pour laisser voir ces arbres, cette neige, cet élan de compassion très net, ces violets que j’ai un jour vus, reconnus et sentis. Je me méfie beaucoup de la langue qui cache ce qu’elle essaie de montrer. La « rigueur d’une écriture » s’exerce selon moi de deux manières : d’abord lorsque l’écrivain se montre fidèle au réel (et non pas à l’imaginaire) ; ensuite lorsque l’écrivain ne détache pas son regard de la lune (et se garde bien de fixer son attention sur le doigt qui la pointe, c’est-à-dire la langue).

A.R. Dans ton entrevue avec Elsa Pépin, pour Rature et lis, tu dis que tu es l’ « héritière des lectures que tu as faites ». Qui lis-tu, pour écrire? 

S.R. Quand j’écris, des passages entiers d’anciennes lectures me reviennent en mémoire, des personnages de la littérature se manifestent, des scènes précises surgissent, des silhouettes d’auteurs se découvrent en filigrane. Si je n’écrivais pas, je ne saurais pas que tous ces gens m’accompagnent : Mrs Dalloway et Rhoda (Virginia Woolf), Ulrich (Robert Musil), Tengo (Haruki Murakami) ou Henry et Sophie Schliemann du Trésor grec (que j’ai lu à 11 ans). Je parle avec eux, je leur demande ce qu’ils pensent, je les laisse parler à travers moi, je me sens moins seule.

A.R. Que penses-tu de ce qui se publie au Québec, en ce moment?

S.R. J’en pense du bien. Ma connaissance de la littérature québécoise se nourrit surtout de ma présence au comité de lecture à la revue littéraire Contre-jour depuis sa fondation en 2002. Pour chacun des numéros, nous recevons plusieurs dizaines de textes d’écrivains québécois de la relève et d’auteurs plus consacrés. Grâce à cet observatoire, je peux constater la vivacité du ton au Québec. Je dois dire aussi que je suis une fervente lectrice des écrivains-essayistes engagés tels que Nicolas Lévesque, Catherine Mavrikakis, Étienne Beaulieu, Yvon Rivard et bien d’autres.

A.R. Qui sont tes auteurs fétiches?

S.R. Je ne suis pas fétichiste. Mais j’aime fréquenter régulièrement les œuvres de Philippe Jaccottet, Louis-René des Forêts, Virginia Woolf ou Yasushi Inoue.

A.R. En terminant, as-tu d’autres projets d’écriture en chemin ? Peux-tu en parler ?

S.R. Bien sûr! Si je suis l’héritière des livres que j’ai lus, je le suis tout autant des films que j’ai vus! En dialogue avec le film de Ridley Scott, Thelma and Louise, je suis en train d’écrire un roman où deux amies se braquent contre la société et décident de s’évader en voiture. À suivre…!

A.R. Merci beaucoup pour ces réponses, Sarah. 

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