L’Association des auteurs : par une nuit de pleine lune

Jamais je ne l’aurais imaginé : cette nuit de pleine lune, en mai 1977, qui m’avait tenu éveillé, excité et rêvant d’une association des auteurs qui resterait gravée dans le ciel estrien quarante ans plus tard.

J’avais à peine 25 ans. Au matin de cette nuit-là, ma vieille IBM Selectric avait accouché du manifeste de ce que pourrait être l’Association, avec un programme d’activités à tenir et une liste d’auteurs et de supporteurs qui pourraient s’y engager.

Tout m’était apparu si clairement, si nécessaire, avec un tel sens de l’urgence. Aujourd’hui je comprends mieux comment cette nuit avait, en fait, été nourrie de plusieurs aurores boréales, de planètes qui se tournaient autour, d’étoiles filantes qui traçaient les hiéroglyphes d’une nouvelle génération éprise de culture, avançant à tâtons dans toutes les directions en voulant s’affranchir de la métropole et revendiquer sa propre originalité à « l’ombre de l’Orford ».

Commençons par le commencement, car les bases de l’association se tissèrent dix ans plus tôt.

 

AU TOURNESOL

Tout a vraiment débuté dans les années 1968-70 avec un tournesol… Oui, l’une des premières boîtes à chanson de Sherbrooke était au Tournesol. Située sur la rue Laurier, elle était dirigée par une jeune religieuse dynamique, Sœur Georgette. Une sorte de Sœur Sourire. Les premiers chansonniers de la région s’y produisaient. C’est là que Jim Corcoran et son ami Bertrand Gosselin firent leurs premiers pas, tout comme le musicien Jean Custeau et André Poulain, compositeur et créateur du Petit Thé des Bois de Deauville et auteur de plusieurs pièces de théâtre. On y buvait des jus et des sodas, chocolats chauds ou camomille, écoutait Ferré, Ferrat, Brel, Léveillée, Gauthier et Charlebois, lisait des vers de Prévert ou d’Aragon, le tout interprété par de jeunes artistes locaux… Je n’avais que 16 ans, mais j’avais réussi à me faufiler comme bénévole en mentant sur mon âge.

C’était mon premier contact avec un noyau de gens épris de littérature, de poésie et de chansons. Je ne m’imaginais pas retrouver certains de ces créateurs dans mon aventure quelques années plus tard. Car c’est au Tournesol que j’ai rencontré André Bernier, celui qui devait agir comme une météorite dans ma carrière en m’offrant d’écrire des textes chaque semaine dans « La page des Jeunes », à La Tribune, et qui deviendrait mon coéquipier dans l’aventure de l’Association 10 ans plus tard.

Qui eût cru qu’à partir de ce premier noyau l’Association aurait ses premières racines?

 

DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

Pendant que le Tournesol s’envolait, j’eus la chance, à l’école Montcalm, d’avoir deux professeurs de français extraordinaires : Florent Grégoire, qui me donna des cours de lecture et de diction en me faisant réciter des poèmes (Souviens-toi Barbara il pleuvait sur Brest ce jour-là), et André Hallée. André était un motivateur hors pair. Ce fut lui qui nous fit découvrir la poésie de Robert Charlebois (Et la charrue passe dans le ciel…) et amena, dans sa voiture rutilante, une bande d’étudiants timides à assister à la première Nuit de la poésie à Montréal… après avoir reçu la permission des parents, bien sûr! Imaginez : entendre Gaston Miron réciter des extraits de l’Homme rapaillé et Michèle Lalonde clamer Speak white. Quelle nuit!

André avait vendu des voitures usagées pendant ses études universitaires pour subvenir aux besoins de sa jeune famille et, tout en enseignant, il continuait de vendre des autos, mais surtout d’écrire. Son premier roman, Sauver la face, publié aux Éditions Cosmos alors que j’étais l’un de ses étudiants, se vendit à plus de 1,000 exemplaires! Déçu des ventes réalisées par l’éditeur Antoine Naaman, il avait mis au point une technique de vente originale : il avait toujours une boîte de ses livres dans le coffre de sa voiture et chaque fois qu’il vendait une voiture, il tentait de vous refiler un exemplaire. Il reçut en droits d’auteur de son éditeur, deux ans plus tard, si mes souvenirs sont exacts, la faramineuse somme de 22 $ environ…

C’est donc vers lui que, plus tard, je me tournai pour fonder les Éditions Sherbrooke pour publier lui son deuxième roman A la taille des hommes et moi, mon premier recueil de poèmes.

Puis ce fut le début du Cégep de Sherbrooke. Encore là, une effervescence était palpable entre les cours de français et de théâtre. Le mouvement dadaïste, l’écriture spontanée, les surréalistes, tout nous excitait et on expérimentait sans retenue. L’Université de Sherbrooke également s’activait. Hercule Gaboury, avec sa veste à carreaux rouges et noirs, animait des cours de français avec passion. Il devait s’impliquer plus tard à St-Venant-de-Paquette. Richard Langlois offrait un cours avant-gardiste sur la bande dessinée d’ici et d’ailleurs. Joseph Bonenfant, Antoine Sirois et Richard Giguère se dédiaient à l’enseignement du français et de la littérature québécoise avec passion et insufflaient un enthousiasme chez leurs étudiants. Antoine Naaman publiait des dizaines de livres par année de la diaspora francophone.

C’était une époque énergisante, dynamique, qui bouleversait tout.

 

LA TRIBUNE

Lorsque j’arrivai à La Tribune, en 1973, j’avais donc été grandement nourri de cette culture estrienne. Mon poste de journaliste culturel à La Tribune ne fit que l’approfondir. J’avais le privilège d’être le seul journaliste chargé de couvrir les activités culturelles pour toute la région de l’Estrie.

La tâche était surréaliste. J’assistais au concert de l’Orchestre symphonique de Sherbrooke, le lendemain je rencontrais le chanteur country Lévis Bouliane ou Ti-Blanc Richard, assistait à une conférence de presse de l’imprésario Bernard Fabi qui annonçait les prochaines têtes d’affiche au théâtre Granada et finalement je couvrais l’exposition d’artisanat du Cercle des fermières. Au milieu de tout ça, j’avais la chance de rencontrer les plus grandes vedettes québécoises et internationales de passage à Sherbrooke : Claude Léveillée, Jean-Pierre Ferland, Serge Reggiani, Serge Lama, ou même le compositeur allemand de musique contemporaine Stockhausen de passage au camp musical d’Orford. Le spectre était… très large. J’avais la chance incroyable d’être au centre de tout ce qui se passait sur le plan de la culture en Estrie.

Et je revoyais André Bernier, qui venait de publier Les Iconoclastes aux Éditions Cosmos. J’assistais au premier disque de Jim Corcoran et de Bertrand Gosselin, aux pièces de théâtre d’André Poulain et de Normand Labelle, ou à l’Atelier avec les comédiens Pierre Gobeil et Serge Christiannesens, je couvrais les débuts du Théâtre du Cent Neuf avec le professeur Hervé Dupuis, j’assistais au vernissage des toiles du peintre Frédéric et au lancement de l’association des artistes des Cantons de l’Est (RACE) avec le peintre Barbeau.

Tout bouillonnait en Estrie.

 

DES AUTEURS

Mais régulièrement je recevais des appels de jeunes auteurs qui, pour la plupart, publiaient à compte d’auteur : Daniel Roy, Michel Muir, et plusieurs autres. De divers coins de l’Estrie, de Windsor, d’East Angus ou de Sherbrooke, des jeunes écrivaient. Parfois l’un d’eux avait la chance d’être publié par un éditeur montréalais, mais ils étaient rares. De son côté, l’Université de Sherbrooke publiait des ouvrages scientifiques ou d’histoire (Jean-Pierre Kesteman) et Antoine Naaman, en plus de publier une trentaine d’ouvrages de la diaspora francophone, lançait quelques auteurs locaux comme Gaston Gouin (Temps Obus), André Hallée, André Bernier, Gaston Stratford. Le Cégep de Sherbrooke suivait le courant en créant une maison d’édition coopérative, gérée par des étudiants.

Mais ces auteurs se butaient à de nombreux problèmes : une fois publiés, leurs livres étaient fort peu distribués dans les librairies ou n’y restaient que quelques semaines; l’article de La Tribune que je leur dédiais était vite oublié; et les rares lecteurs qu’ils avaient acquis étaient incapables de les retrouver. Vite, ils retombaient dans une solitude déprimante.

C’est à ce moment, en 1975, qu’André Hallée et moi décidèrent de créer une petite maison d’édition, Les Éditions Sherbrooke. Nous nous mîmes à la recherche d’un imprimeur; les Presses des Éditions Pauline acceptèrent de nous imprimer. Ensuite, ce fut le porte-à-porte des librairies et coopératives étudiantes pour élaborer un petit réseau de distribution. Et pour financer le tout, un prêt négocié à nos banques pour couvrir nos dépenses, lesquelles seraient remboursées, non par nos ventes de livres, mais par nos salaires respectifs. C’était du compte d’auteur à quatre mains. Nous avions la foi des fous. Nous développâmes ainsi une expertise en impression, distribution et promotion. Pendant quelques années, nous publiâmes une vingtaine d’ouvrages, souvent financés conjointement avec les auteurs.

Et je continuais toujours d’écrire à La Tribune; la banque réclamait mon salaire pour payer mes rêves fous!

 

LE DÉCLIC

Il était coutume, à la fin d’une année, de publier un compte-rendu des grands événements qui avaient marqué les secteurs de l’actualité. Comme je couvrais l’ensemble du secteur culturel, je divisais mes articles sous divers thèmes : théâtre, littérature, peinture, musique, etc.

À ma grande surprise, je recensai plus d’une quarantaine d’ouvrages publiés par des Estriens. En une seule année! C’est là que je réalisai que plusieurs créateurs tournoyaient sans jamais se connaître, que mes rencontres avec ces auteurs participaient d’un grand mouvement de fond : les auteurs des Éditions Naaman, les scientifiques comme Roger Mitton, les auteurs publiant à leur compte, Normand Labelle et André Poulain avec leurs pièces de théâtre, Pierre Brochu et ses scénarios de film, les auteurs de bandes dessinées, et tous ceux qui écrivaient dans l’ombre et aspiraient à être publiés.

L’UNEQ (L’Union des écrivaines et des écrivains québécois) venait d’être lancée. Mais j’estimais que sa vocation était trop centrée sur les auteurs dits professionnels; il fallait avoir publié un ou même deux livres chez un éditeur reconnu. L’UNEQ se voulait un syndicat défendant un contrat standard des droits d’auteur pour ces écrivains. Ça ne correspondait pas à notre réalité.

Je rencontrais quotidiennement des auteurs ou créateurs qui écrivaient des pièces de théâtre, composaient des chansons, des poèmes, des scénarios de films, élaboraient des essais ou des ouvrages scientifiques. Peu étaient publiés. Mais tous espéraient l’être un jour. N’était-ce pas la reconnaissance ultime?

Notre région avait besoin d’un lieu où se rassembleraient les auteurs aspirant à être publiés ou qui l’avaient été, pour échanger entre eux, faire leurs premiers pas, écrire, réciter leurs poèmes en public, être corrigés, être encouragés et informés de ce qui se passait chez eux. Il fallait donc une association ouverte aux artisans et aux sympathisants, pas seulement aux littéraires et aux professionnels de l’écriture.

Donc, en cette nuit de mai 1977, toutes mes rencontres depuis la boîte à chansons, l’école Montcalm, le Cégep et les Éditions Sherbrooke jusqu’à mon travail journalistique à la Tribune me conduisirent à imaginer une association ouverte, rassembleuse et motivante pour promouvoir l’écriture sous toutes ses formes. Tout concourrait pour diriger cette énergie souterraine vers la naissance de l’Association.

Un peu comme l’éclair qui frappe l’arbre de la forêt, je ne fus qu’un filament d’énergie, le rayon de lune de cette incandescence qui couvait en Estrie.

Quand le matin arriva après cette pleine lune, j’avais donc en tête une liste de gens qui, je l’espérais, supporteraient l’idée d’une association. Je me rappelle avoir communiqué avec André Bernier, André Poulain, André Hallée, Normand Labelle, Hervé Dupuis, Antoine Sirois, Joseph Bonenfant, Gaston Stratford et Hercule Gaboury. Puis je lançai l’invitation aux lecteurs de la Tribune pour une rencontre à l’école Le Phare. Et l’Association naquit officieusement en comité provisoire ce soir-là, avec des gens comme André Bernier, l’infatigable Ronald Martel, les professeurs Jean Civil et Roger Mitton, André Hallée, Normand Labelle, Ruth de Montigny, Solange Gobeil-Fortin, et plusieurs autres. Ce furent les fondateurs de l’Association.

Dès la première année, nous mime sur pied Grimoire, bulletin d’information dans lequel on retrouvait certains textes de nos auteurs et autres petites nouvelles, imprimé sur une machine Gestetner, le soir, au bureau du ministère des Affaires culturelles à Sherbrooke; les Mardis littéraires, qui permettaient de rencontrer des auteurs connus, parfois originaires de Sherbrooke; les prix littéraires Gaston Gouin et Alfred DesRochers; une place dédiée aux auteurs de la région à la librairie Payette de la rue Wellington; et la recherche d’une aide financière auprès du ministère des Affaires culturelles régional. Et déjà l’idée d’un Salon du Livre nous hantait.

Ensuite, André Bernier, Ronald Martel, Jean Civil reprirent le flambeau. L’Association était née, vivait, se développait. Ils la portèrent sur leurs épaules avec toute leur énergie et leur foi. Maintenant l’écriture en Estrie n’était plus un acte isolé, mais participait au développement, à la consolidation et à la défense d’une culture toute estrienne.

Toute ma reconnaissance va à ces créateurs qui apportèrent leur rayon de lune dans ma nuit blanche… comme sur une page blanche attendant son auteur.

 

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