Un monde en mouvement. L’édition depuis 40 ans au Québec

Le monde de l’édition a beaucoup changé au Québec depuis les quarante dernières années. Le plus grand changement vient des maisons d’édition fondées dans la foulée de la Révolution tranquille ou même avant, comme Boréal, Hurtubise HMH et Leméac, qui se sont en quelque sorte normalisées, passant de petites maisons presque artisanales à un tout autre modèle tenant plus de l’entreprise bien établie, ayant même souvent dans ses relations étroites d’affaires son propre réseau de distribution. C’est au tournant des années 2000 que la concurrence s’est le plus fait sentir par des maisons plus jeunes qui ont grugé une part non négligeable des parts de marché : Mémoire d’encrier, Alto, Le Quartanier, La Peuplade, Héliotrope, Le Cheval d’août, Atelier 10, ou même des plus petites comme Poètes de brousse, L’oie de Cravan ou Chauve-souris, pour n’en nommer que quelques-unes, ont complètement renouvelé le genre du roman au Québec, faisant place à une prose correspondant moins à l’horizon d’attente du lecteur commun. L’essai a aussi considérablement bougé avec l’arrivée de nouvelles maisons comme Le Septentrion dans les années 90, avec aussi la fondation de Nota bene. Ces deux maisons sont un très bel exemple du renouvellement du modèle éditorial de l’essai québécois, qui passe d’abord par des publications plus académiques pour progressivement rejoindre un public plus large par une place faite dorénavant à l’essai littéraire et même au récit et au roman, avec l’adjonction de la maison Hamac pour le Septentrion et Triptyque pour Nota bene, et même Varia et Le Lézard amoureux, devenant du même des groupes éditoriaux qui permettent de mettre en commun des ressources financières et humaines, augmentant ainsi la capacité de production. Un autre exemple de renouvellement serait les Éditions Druide, connues d’abord pour leur mise en marché spectaculaire du correcticiel Antidote, puis progressivement ouvertes à la prose narrative et même essayistique dans les dernières années. Québec Amérique offre un modèle d’affaires apparenté, avec le succès fulgurant du Dictionnaire visuel qui permet par ailleurs la production d’autres titres moins commerciaux. Le paysage littéraire québécois s’est en somme beaucoup diversifié depuis quarante ans et c’est une excellente nouvelle pour tout le milieu, malgré un lectorat toujours plus difficile à rejoindre, parce que plus mobile et plus dispersé.

C’est d’ailleurs dans ce secteur que la transformation a été la plus marquante. La traditionnelle chaîne du livre vivote à l’heure actuelle, tout simplement parce que la vente sur internet et dans les grandes surfaces a fait mal aux librairies indépendantes, où les maisons d’édition littéraire trouvaient traditionnellement leur public. Des résistances s’organisent, comme la journée du 12 août lors de laquelle on valorise l’achat de livres québécois, ou encore le site d’achat en ligne leslibraires.ca formé par une association de librairies indépendantes, pour faire contrepoids aux Amazon et autres Renaud-Bray. Face à cet engorgement du marché par des géants mondiaux, les jeunes maisons d’édition ont d’ailleurs été forcées de réinventer la chaîne du livre en misant sur un contact direct avec les lecteurs dans des événements littéraires de plus en plus nombreux un peu partout à travers la province. Aller chercher les lecteurs un à un devient le but affiché de toutes ces maisons qui diversifient les stratégies de visibilité de leurs auteurs, allant même jusqu’à s’implanter en France avec audace pour La Peuplade, en même temps d’ouvrir une succursale sur la rue Racine à Chicoutimi, le local n’excluant aucunement l’international. Atelier 10 s’associe de même à une revue d’avant-garde, Nouveau projet, et s’offre sans hésiter pignon sur rue à Montréal, proposant du même coup un modèle d’affaires inédit au Québec en abonnant ses lecteurs à ses publications comme s’il s’agissait d’un périodique. Québec Amérique ouvre de même un espace de lancement dans ses propres locaux, de manière à rejoindre directement ses lecteurs. C’est d’ailleurs la direction que semble prendre l’édition québécoise : au lieu d’un modèle horizontal traditionnel (la fameuse chaîne du livre), une certaine verticalité s’impose de plus en plus, qui permet à un groupe de bénéficier de la facilité d’accès qu’offre une sorte de mini-chaîne du livre dans l’entreprise, qui a souvent maintenant ses propres points de vente, son réseau de distribution indépendant affilié à ses différentes maisons.

La créativité ne semble plus avoir aucune limite pour ces jeunes maisons, qui s’ouvrent aussi pour quelques-unes à des genres nouveaux, comme le roman graphique pour La Pastèque, qui ne publie plus seulement de la littérature jeunesse mais s’ouvre à tous les publics avec beaucoup d’inventivité et un sens des affaires avisé, faisant par exemple imprimer ses livres couleurs au Manitoba, chez Friesen, ou carrément en Asie, ne s’interdisant aucunement une participation à ce qui ressemble dorénavant à la mondialisation économique dans le champ de la production éditoriale québécoise.

Face à toutes ces transformations, l’édition québécoise s’est aussi mobilisée pour retenir, malgré tout ce mouvement, on pourrait même dire, ce bouillonnement, une certaine part de mémoire en fondant des lieux de réimpression de livres marquants. La création de BQ, de Nomade ou même des Éditions Alias, faisant partie du Groupe Nota bene, ont pour but de pérenniser l’édition québécoise, afin que toute cette agitation ne soit pas oubliée par les générations futures.

 

« Le paysage littéraire québécois s’est en somme beaucoup diversifié depuis quarante ans

et c’est une excellente nouvelle pour tout le milieu,

malgré un lectorat toujours plus difficile à rejoindre

parce que plus mobile et plus dispersé. »

 

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