Je suis arrivé en retard. J’aurais voulu entrer, mais c’était bourré de monde. Il devait faire chaud là-dedans. Je suis resté dehors et j’ai vu Robert à travers la vitrine. Il était tout au fond, face au public auquel il s’adressait. J’ai reconnu ses gestes, ses mimiques. Je ne pouvais pas l’entendre, mais on aurait dit que je comprenais quand même ce qu’il racontait. Presque tout le monde avait une petite coupe en plastique transparent à la main. On avait servi du vin blanc.
Il faisait encore jour et la température était assez douce. J’étais confortable à l’extérieur et de toute façon je devais attendre Nathalie qui s’était pris les pieds dans une réunion. J’ai sorti mon téléphone et je me suis mis à corriger un texte que je voulais présenter à une revue littéraire. Ils en ont vu d’autres, ils le savent quand on s’est battu avec les mots. Je préfère souvent tout jeter et passer par un autre chemin. Mais cette fois, en utilisant l’imparfait plutôt que le passé simple, ça a marché. C’est devenu moins littéraire, plus proche de la parole. Je me suis dit que c’est ce que je voulais.
Appuyé au mur, j’avais l’air de quelqu’un qui perd son temps. Le temps se perd pourtant tout seul, il n’a pas besoin qu’on l’aide. En me relisant, je m’étais glissé entre les lignes et j’avais encore vu toute l’action se dérouler. Comme si tout avait été projeté sur un écran situé derrière mon front. J’aime bien avoir les yeux grands ouverts et voir complètement autre chose que ce qu’ils me montrent. A beau fermer les yeux qui veut voir loin.
Je commençais à avoir mal dans le dos, mais je fais confiance aux vertus de l’inconfort. L’inspiration n’est pas dupe, elle ne se laisse pas séduire par du silence et de la tisane. Chacun sa méthode pour dénicher les perles. Pour ma part, je m’arrime à l’ordinaire et j’implore le ciel pour qu’un collier se casse. Avec un peu de chance, je pourrais entrevoir une bonne idée qui roule vers un endroit où on ne la retrouvera jamais.
Le jour est tombé sans que je m’en rende compte. Je suis resté dehors pendant près d’une heure. L’événement s’est terminé et les gens ont commencé à sortir. J’aurais voulu que ce moment n’arrive jamais et demeurer emprisonné à l’intérieur de mes problèmes de syntaxe. Mais comme toujours, j’ai dû fuir vers la réalité.
Nathalie est arrivée juste à temps pour sauver mon humeur. On est entrés et j’ai pu discuter un peu avec des gens que je connais. Comme moi, ils écrivent ou tentent de le faire. Nous nous aimons de plus en plus. Je me demande souvent s’il y en a parmi nous qui ont vraiment du talent. Il m’est arrivé de croire que j’étais le seul à en avoir, mais plus souvent encore que j’étais le seul à ne pas en avoir. Maudit orgueil. J’ai par contre l’impression d’être le seul qui peut écrire uniquement quand ce n’est pas le bon moment. Cheminer en littérature c’est une forme d’itinérance. Rien dans les poches, tout dans la main tendue, avec la gorge qui se serre.
J’ai finalement pu me rendre jusqu’à Robert. Il dédicaçait un de ses livres. Il m’a tout de suite reconnu et appelé par mon prénom. Il a eu l’air d’être heureux que je persiste à écrire. En paraphrasant les vieux que j’ai connus autrefois et qui me parlaient du jour de leur mort, je lui ai répliqué que ce n’était pas moi qui décidais d’écrire ou pas. J’imagine qu’il a saisi. Nathalie a finalement acheté deux de ses livres.
J’avais faim, alors on n’est pas restés longtemps. On a commandé des pizzas aux anchois pour emporter. En direction de la maison, on a discuté au téléphone en se suivant. Chacun dans sa petite voiture ennuyante. On en avait long à se dire. On a mangé dès qu’on est arrivés. En silence. C’était bon, mais très salé. J’ai dû me lever à 3h du matin pour boire de l’eau. Avant de me rendormir, j’ai écrit ce texte. Toujours sur mon téléphone, comme si je perdais mon temps.
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