Entrevue avec Christiane Lahaie et Georges Desmeules
Christiane Lahaie est une nouvellière, romancière, poète et essayiste. Elle obtient, en 1984, un baccalauréat en littérature anglaise à l’Université McGill puis, en 1987, une maîtrise en littérature française de l’Université Laval. En 1992, elle soutient sa thèse de doctorat en littérature québécoise, profil création, à cette même institution. Elle est présentement directrice du Département des lettres et communications et professeur titulaire à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. Récipiendaire de nombreux prix littéraires, cette auteure prolifique a dirigé le Centre de recherches Anne-Hébert et les Cahiers Anne-Hébert de 1998 à 2003 et a également été membre du comité de rédaction de la revue Québec français de 1996 à 2001. Parmi ses plus récentes publications, retenons entre autres Vous avez choisi Limoges, recueil de nouvelles paru en 2015 et Parhélie ou les corps célestes, roman publié chez Lévesque Éditeur en 2016.
Georges Desmeules enseigne la littérature au Cegep de Sherbrooke et est chargé de cours à l’Université de Sherbrooke, mais c’est comme professeur de chimie qu’il a entrepris sa carrière dans l’enseignement. Il a conservé un grand intérêt pour les sciences, ce qu’il met d’ailleurs à contribution dans ses cours de lettres. Il a fait un stage doctoral à Reading en Angleterre, consacrant ses recherches au domaine de l’humour, études dont il a tiré l’essai Le fantastique et le spectre de l’humour paru à l’Instant même en 1997. Il est aussi, entre autres, l’auteur du roman Le projet Syracuse : vie et mort de Wolf Habermann (2008) et de l’essai Les mythes littéraires : épopées homériques (2013). En 2016 paraissait son plus récent roman Prophète de hasard chez Lévesque Éditeur.
Ensemble, ils ont cosigné plusieurs ouvrages dont Les classiques du roman québécois (1997), Les personnages du théâtre québécois (2000) et le Dictionnaire des personnages du roman québécois : 200 personnages des origines à nos jours (2003), ceux-ci ayant grandement contribué à une meilleure connaissance de notre littérature.
C’est donc avec modestie, un profond respect et un tout petit peu d’appréhension, je l’avoue, que je rejoignais un certain samedi après-midi du mois d’août dernier ce couple d’auteurs connus et reconnus au cœur du paysage littéraire estrien. Nous avions choisi un sympatique café nouvellement ouvert près du centre-ville de Sherbrooke où la propriétaire nous avait réservé, pour l’occasion, une petite salle lumineuse nous permettant de jaser le temps qu’il faut, sans s’inquiéter d’importuner nos voisins de table.
J’avais bien sûr préparé quelques questions, misant prudemment sur les sujets traditionnels d’entrevue, mais laissant place, je l’espérais, à la spontanéité du moment. J’étais particulièrement intéressée par l’influence probable d’un autre auteur présent dans sa vie quotidienne quand on est soi-même un écrivain ou une écrivaine.
Je n’avais nullement à m’inquiéter. Dès les premières minutes, le ton fut convivial, les propos passionnants et la rencontre tout en simplicité, authenticité et particulièrement riche de sens.
Christiane Lahaie s’intéresse particulièrement à la spatialisation dans le texte nouvellier, à la géocritique et à la représentation des paysages dans la littérature québécoise. Ses personnages vont de l’avant même s’ils sont le plus souvent piégés et perdus d’avance. Ils évoluent dans un univers trouble où le lieu et l’action ne font qu’un. « Ils ont en commun une faille qu’elle ne cesse de traquer. Ils sont dans un équilibre précaire, qui menace de basculer(…) Ce procédé, Christiane Lahaie en a fait sa spécialité », écrivait Danielle Morin dans son article intitulé « Toute chose fragile en ce monde : variations sur la porcelaine » publié dans le journal Le Devoir, en 2015.
Christiane elle-même nous dira, décrivant son propre style littéraire : « Je suis plus dans l’émotion, dans les couleurs. » Georges, quant à lui, nous confie avec une évidente admiration : « Même si elle n’écrit pas une œuvre littéraire, Christiane EST littéraire! »
Sans équivoque et au grand plaisir de quiconque s’intéresse à la science, à la démarche scientifique, à l’ordre et la méthode, Georges Desmeules possède sans nul doute un esprit des plus cartésiens. Comme il le spécifie lui-même avec conviction, ses textes sont écrits à partir de concepts et s’appuient sur des équations à plusieurs variables. Il privilégie l’écriture à la main et vise surtout le produit fini. Il s’intéresse également à la présence du mythe dans la littérature et se penche volontiers sur des récits de la création du monde.
Féru de l’œuvre de Jorge Luis Borges, l’un des écrivains les plus importants du XXe siècle, Georges fut invité à Buenos Aires même, capitale argentine ayant vu naître le célèbre écrivain, afin de prononcer une conférence sur l’univers littéraire borgien. Initiateur de spectacles mettant en scène la littérature et la science, il aime nous rappeler, l’œil brillant et toujours vif, que les grecs eux-mêmes calculaient jadis avec des mots, relatant habilement les myriades. Pour lui, la littérature demeure le véhicule d’idées par excellence.
Et c’est ainsi que se déroula notre rencontre, ce certain samedi après-midi estival, entre la science et l’émotion, entre les déchirures humaines et la pensée cartésienne au cœur de l’univers osmotique de mes deux invités.
Au fil des discussions fluides et passionnantes, le temps s’est arrêté. J’y ai appris que l’on peut reconnaître un auteur de talent à sa capacité à entrer en lui-même, à sa profondeur, à son authenticité, au choix de ses mots, à son rythme et à son ton. Son texte se reconnaîtra au naturel et au vrai, à la création d’un monde à part, à une vision unique, à une lucidité mêlée de candeur, à une lourdeur et une légèreté, tout à la fois.
Puis, Christiane et Georges confirmèrent, d’une seule voix, le regard droit et assuré du pédagogue expérimenté, que le talent existe!
Nous avons quitté le sympathique café, transportés par la sérénité d’heureux moments partagés. Dans le stationnement situé à l’arrière de l’établissement, Georges remarqua à nouveau, comme il l’avait fait à son arrivée, la grande galerie recouverte du deuxième étage, celle-ci surplombant majestueusement la cour. « Quelle belle scène de théâtre, cela ferait! », dit-il. Christiane acquiesça, complice!
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