Café Faro, Biblairie GGC, face à la vitrine qui donne sur la rue King. La circulation est fluide. 16 h 38. Pas de trafic pour le moment. Ça va et ça vient. Je suis immobile. Méditative, presque. Le flot de voitures est rassurant. J’ai ouvert mon ordinateur, le curseur clignote en haut de la page. Sa pulsation rythme ma respiration. Mes mains sont posées à plat sur le clavier. Je suis en position de départ. Le texte peut commencer.
J’applique la consigne que j’ai donnée mille fois à mes élèves en classe de français. Madame, je sais pas quoi écrire! L’inspiration c’est comme l’appétit, ça vient en écrivant. Parfois il vaut mieux ne pas attendre et risquer le tout pour le tout. Tant pis si on écrit n’importe quoi. Ça vaut mieux déjà que le silence. Ou l’immobilité.
On m’a demandé d’écrire un texte-témoignage à propos de la création de Sors de ta bulle! en 2004. « Si le cœur t’en dit, accepterais-tu de nous rédiger un court texte qui expliquerait l’idée et les motivations derrière la création du concours? Puisque tu en es l’instigatrice, nous aimerions beaucoup pouvoir t’entendre à ce sujet dans ce numéro spécial. » C’était au début de l’été, je pense. J’ai dit oui tout de suite. Puis j’ai oublié. Raphaëlle m’a rappelé gentiment la date de tombée il y a une dizaine de jours. Ce matin encore : « Puisque le temps passe et que le salon approche, je me dois donc de te faire un petit rappel : si tu pouvais me faire parvenir ton/tes textes pour l’Alinéa au cours des prochains jours, ce serait l’idéal! »
J’ai beau avoir publié quatre livres, chaque fois qu’on me passe une « commande » pour écrire, je bloque. Ça me rappelle qu’écrire est un art difficile et que la maîtrise seule de la langue ne suffit pas. On apprend aux élèves à structurer leurs phrases, leurs textes, pour les rendre capables de passer de l’idée à l’écrit dans un but très précis : la communication. La langue permet certes d’exprimer ses idées. Plus son usage sera facilité, meilleures seront les chances de se faire entendre et comprendre. Mais la langue peut servir aussi un autre besoin qui me semble tout aussi impérieux : la création, le déploiement de l’imaginaire, l’expression de soi, l’art lui-même!
Contrairement au dessin, à la peinture, à la musique, à la danse, au théâtre qui font l’objet de cours spécifiques au primaire et au secondaire, l’art d’écrire n’est pas enseigné. Que celles et ceux qui manifestent de l’intérêt et une certaine habileté pour la création de textes littéraires – au-delà des textes scolaires qu’on exige dans le seul but d’évaluer leur maîtrise de la langue – ne puissent pas être supportés, encouragés, guidés, de quelque manière que ce soit, m’a toujours profondément dérangée, voire révoltée. Combien de Mozart assassinés dans nos écoles, de jeunes qui n’ont pas appris à dévoyer la langue un peu, à la manipuler comme le formidable matériau qu’elle peut être aussi? Il y avait là un terrain de jeux à investir au potentiel insoupçonné.
En 2003, j’ai pris congé de l’enseignement pour me consacrer à une maîtrise en création littéraire à l’Université de Sherbrooke dont le mémoire aura pour titre Écrire et enseigner au secondaire : la création littéraire en question. La prof de français a besoin de nourriture intellectuelle. Besoin de faire plus de place à l’écriture dans sa vie. Besoin d’arrimer surtout passion d’écrire et d’enseigner. C’est le début de l’aventure. Mais pas seulement pour moi.
Un concours littéraire comme Sors de ta bulle! n’aurait jamais vu le jour sans la collaboration de mon directeur, Michel Bernard, et celle d’une équipe de profs de la CSRS prêts à s’impliquer dans chacune de leur école. Le projet est unique et ambitieux. Les élèves qui s’inscrivent au concours s’embarquent dans l’écriture d’un manuscrit de plus ou moins 80 pages, tous genres confondus. À terme, la personne lauréate est invitée à s’engager dans un processus éditorial de plusieurs mois pendant lequel elle produira une version améliorée de son manuscrit qui sera publié aux Éditions Les Six Brumes. L’enseignant.e-animateur.trice de chaque école réunit, encourage, prépare les jeunes aux journées interécoles, trois par année, durant lesquelles ils et elles vont rencontrer des auteurs.es et recevoir de nombreux outils. Une « armée » de lecteurs.trices critiques est recrutée pour accompagner les apprentis.es écrivains.es d’une manière individuelle.
C’est donc, autour de Sors de ta bulle!, bon an mal an, autour de 200 personnes qui causent écriture ensemble, dont la moitié n’ont pas encore 18 ans! Multipliez ce chiffre par 13 (années), le résultat permet d’affirmer sans conteste que Sors de ta bulle! contribue activement à former la relève littéraire estrienne, une relève par ailleurs fort dynamique, et qui englobe Magog depuis que l’école secondaire La Ruche a rejoint le concours.
S’il faut en être fier, l’objectif, quant à moi, n’est qu’à moitié atteint.
En plus de m’avoir donné du temps pour « rêver » Sors de ta bulle!, mon mémoire de maîtrise m’a permis de poser les bases du cours de création littéraire que j’ai mis en place à l’école Mitchell-Montcalm pour les élèves de 4e et 5e secondaire. Une réussite à bien des égards. Un cours stimulant autant pour les jeunes que pour la prof qui pouvait à son tour créer un espace différent, certainement plus libre et éclaté que la classe de français pour faire écrire les jeunes.
Mon rêve à présent ? Voir d’autres profs, dans d’autres écoles, ici en Estrie et, pourquoi pas, partout ailleurs au Québec, enseigner la création littéraire. Ainsi, je pourrai dire que j’ai laissé ma trace, à l’instar de la centaine de jeunes qui joignent les rangs de Sors de ta bulle! chaque année. Parce qu’écrire, c’est un peu ça : laisser sa trace.
L’inspiration c’est comme l’appétit, ça vient en écrivant.
Parfois il vaut mieux ne pas attendre et risquer le tout pour le tout.
Tant pis si on écrit n’importe quoi.
Ça vaut mieux déjà que le silence. Ou l’immobilité.
Crédit photo : Michel Dion
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