À CHACUN SON PROCESSUS CRÉATIF

J’ai commencé l’écriture d’un roman en avril 1974, à l’âge de 20 ans, alors que j’habitais encore avec mes parents, dans la petite ville de Cookshire. J’avais alors l’ambition d’écrire ce roman sans prétention, au vous, pour inclure le lecteur dans le processus, pour écrire l’histoire d’une multitude de lecteurs, votre histoire, en somme. J’avais été influencé, je dois l’avouer, par le nouveau roman, par La Modification, de Michel Butor, et par quelques pages d’une autre œuvre de Nathalie Sarraute, dont je ne me souviens même pas du titre.

Est-ce par manque d’intérêt, par manque d’inspiration ou par manque de temps pour m’y consacrer pleinement, — je travaillais intensément dans le commerce familial, avec mon père et ma mère, à cette époque, en plus de mes études collégiales qui se terminaient et les universitaires qui commençaient — mais les premières pages écrites, les premiers chapitres et le plan que j’avais rédigés ont dormi sept ans, par la suite, dans un classeur.

J’ai eu l’idée de le poursuivre en février 1981 seulement, alors que j’avais mon chez-moi à Saint-Élie-d’Orford, où ma petite famille se trouvait en éclosion, où une association d’auteurs et surtout un salon du livre, encore dans leurs premières années d’existence, m’accaparaient beaucoup, je me souviens.

Je n’ai donc fait que donner une maturité nouvelle aux idées de départ de ce roman et ajouté quelques chapitres. C’est à ce moment que la décision fut prise de l’écrire sous forme de plusieurs tableaux, presque indépendants les uns des autres, du moins en apparence… Malgré ce regain d’intérêt et d’ébullition littéraire de ma part, j’ai remis mon roman en état d’hibernation, faute de temps pour m’y consacrer véritablement. La raison principale en est assurément que ma carrière de journaliste, par la porte d’en arrière en tant que publiciste, m’amenait à écrire régulièrement, tous les jours. Comme le cordonnier mal chaussé, je devais sortir de l’écriture dans mes moments de repos et de passe-temps. Quand on écrit toute la journée pour le travail, a-t-on encore envie, le soir ou les fins de semaine, de continuer à écrire, ne serait-ce que pour son divertissement ?

Et puis, ne faut-il pas avoir les idées claires, dans une certaine mesure, pour aller de l’avant en écriture, de façon efficace, donc ne pas avoir trop de choses dans la tête, ni trop de projets, ni trop de préoccupations, ni de travaux en parallèle qui vous trottent en même temps dans le cerveau… ? Je l’avoue, c’était mon lot de tous les jours.

C’est à Lac-Mégantic, en octobre 2008, que je me suis dit qu’il serait peut-être temps d’y mettre un point final, un peu comme si c’était tout à coup devenu une question de vie ou de mort. Le titre final s’imposa alors, Le dernier impie, l’histoire du dernier homme, comme dans l’expression « la fin du monde ». Peut-être que cela explique pourquoi il m’a fallu 35 ans, pratiquement, pour achever une œuvre qui ne voulait pas venir au monde.

Ce roman, c’est une certaine critique de la société qui m’avait vu naître et évoluer, un roman où je racontais votre histoire et la mienne dans un monde rendu à l’étape finale où toutes les combinaisons de notes de musique avaient déjà été formées, faisant en sorte que les musiciens étaient arrivés au bout des possibilités de mélodies et de chansons, où tous les agencements de mots avaient été complétés. Ce qui faisait en sorte également que tous les auteurs, romanciers et écrivains ne pouvaient plus pondre d’œuvre originale. J’ai raconté un monde où la fin du monde se devait d’arriver pour que tous les artistes puissent recommencer à zéro, peut-être, après que seul le dernier impie ne subsiste un temps sur la terre…

Peut-être que je ne voulais pas, durant ces 35 ans, que ce monde d’apocalypse puisse survenir. Je crois que tout auteur ne peut passer à côté de ce qu’il vit ou a vécu, durant son enfance, son adolescence ou ses années de jeune adulte. Il n’écrit bien qu’en évoquant ce qu’il connaît le mieux, ce qu’il a déjà vécu, ce qu’il a expérimenté. Toute première œuvre d’une carrière de quelque auteur que ce soit a, nécessairement, des relents autobiogra-phiques, avoués ou non. Peu d’auteurs y échappent, d’après moi.

C’est subliminal. C’est du ressort du subconscient. Ou même de l’inconscient.

Comme si je n’étais pas prêt, sans avoir assez vécu, pour écrire ce roman que je voulais ambitieux par sa qualité et l’à-propos des mots. Ce roman, qui n’a que 148 pages finalement, constitue mon œuvre principale, sans prétention, d’une carrière d’auteur, la mienne, qui n’a jamais produit de best-seller et n’en produira sans doute jamais, il faut être réaliste. Mais mon roman a reçu quelques bonnes critiques de connaisseurs qui l’ont lu… Je l’ai publié à compte d’auteur, à petit tirage, aux Éditions Jour et Nuit, que je possède depuis 1983. D’aucuns se souviendront de Célébration de l’Estrie, le premier livre de ma petite maison d’édition…

Autant d’auteurs, autant de processus créatifs. Chacun à sa manière

C’est une question d’inspiration, de confort de l’auteur avec les idées de départ avec lesquelles il fait grandir l’œuvre et l’élabore, la fait évoluer, selon sa malléabilité avec le quotidien, l’état de grâce qui frappe non pas quand il le voudrait, mais à l’improviste. Seul l’auteur peut juger valables les instants de microlucidité ou de macro-compréhension universelle qui favorisent les grands ou les petits moments d’écriture. Lui seul peut décider de les utiliser, de consentir à l’inspiration, ou encore de ne pas en tenir compte.

Avec une multitude de circonstances existentielles et atténuantes, avec des millions de facteurs d’influences, et peut-être des milliards de possibilités et d’envies d’assaisonner ses œuvres d’éléments personnels, d’y mettre du sien et de retourner, avec délectation, à partir d’un temps de sagesse consommée et ultime, jusqu’au moment magique du retour dans l’œuf de départ… Il est le seul maître de sa création.

Natif de Lac-Mégantic, Ronald Martel a été tour à tour co-fondateur de l’Association des auteurs des Cantons de l’Est, président-fondateur du Salon du Livre de l’Estrie, propriétaire de compagnies actives dans le domaine de l’imprimerie, agent de communication au CSSS du Granit et, depuis juillet 1997, journaliste-correspondant du journal la Tribune à Lac-Mégantic. Il a publié quelques romans et de la poésie. Il prépare un livre sur la fameuse tragédie de 2013 et un recueil de poésie qui en est la conséquence collatérale, s’intitulant Entre deux amours.

 

Crédit photo : Michel Brochu

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