Un joyau littéraire
Je vous propose ici un ouvrage qui a séduit les juré.es du Grand prix du livre de la Ville de Sherbrooke cet automne*[1]. Cet ovni, à mi-chemin entre le théâtre et le roman, est un joyau littéraire.
Dans Naissance d’Homère, Georges Desmeules revisite le grand mythe de la Guerre de Troie. Pourquoi proposer une xième version d’une histoire maintes fois revisitée et qui téléporte les lecteurs et lectrices en des temps révolus? Et comment une telle histoire peut-elle rejoindre ceux et celles d’aujourd’hui?
On devine que l’auteur est un féru d’Histoire, qui propose ici sa propre version de ce mythe. Il fait l’hypothèse que Mérios, enfant oublié du roi de Troie, serait l’auteur derrière l’Illiade, le fameux Homère. Fait prisonnier par Ménélas, ennemi juré du roi de Troie, il est sommé de devenir son aède s’il veut sauver sa peau. Or Mélénas s’apprête à déclarer la guerre à Troie.
Desmeules ose, et c’est déjà une première incitation à lire Naissance d’Homère.
Mais il y a plus.
Derrière cette audace, l’auteur s’en permet une autre. Celle de déconstruire la forme du roman. En page titre il est indiqué « roman théâtral ». Mi-roman, mi-théâtre, cette structure permet habilement à l’auteur de traverser l’histoire sans être obligé d’en raconter toutes les péripéties guerrières. Tout au long des trois actes, l’auteur invite les lecteurs et lectrices à le suivre d’une époque à une autre, à se transporter d’un lieu de guerre à un château, et cela en quelques mots au début d’un chapitre. On pourrait croire que ces didascalies propres au théâtre cassent le ton du roman, pourtant il n’en est rien tellement ces indications essentielles à la compréhension sont données tout en nuance et poésie.
« Du côté cour, c’est la mer. (…) Des notes grêles, comme des osselets qui se heurtent, composent parfois une musique incertaine. Une gamme pentatonique, ascendante ou descendante, en sol mineur. »
Ce qui m’amène au ton du récit.
La narration lyrique qu’en fait Mérios sous la dictée d’Athéna permet à l’histoire d’épouser le souffle épique initial de l’Illiade. Homère ne le renierait pas! L’adresse au « tu » de la part d’Athéna apporte une dimension profondément humaine dans ce qui s’avère être une histoire de guerre, de vengeance et de sang orchestrée par les dieux.
Ce « tu » humanise le narrateur, traduit ses peurs, sa vulnérabilité. Poétise une situation qui échappe au contrôle humain. Et ainsi harponne le lecteur, la lectrice, qui tremble avec Mérios et, en quelque sorte, le sauve.
Le souffle lyrique de Desmeules m’a souvent ramenée à Laurent Gaudé dans Pour seul cortège, alors que lui aussi traitait d’un sujet tiré de l’Histoire, la mort d’Alexandre le Grand, sur un ton semblable, qui magnifie le texte.
Derrière les mots de Desmeules, c’est son investissement total dans la parole des narrateurs, qu’il s’agisse du théâtre ou du récit, ses accents à l’instar de Gaudé, qui m’ont totalement emportée!
Pourquoi lire cette histoire aujourd’hui? Laissons l’auteur nous le dire.
« Il n’y a pas de pourquoi. Il y a de l’amour et du désir. »
[1] Naissance d’Homère, Lévêque Éditeur, était parmi les trois livres finalistes à la dernière édition du Grand prix du livre de la Ville de Sherbrooke.
Lise Blouin a publié six romans dont L’or des fous. Elle anime depuis cinq ans des ateliers de création littéraire à l’AAAE.
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