Est-ce terminé entre nous ? Ai-je vraiment le goût
de continuer ? Était-ce enfin le dernier coup dont notre
structure instable avait besoin pour s’écrouler ? Il est
peut-être temps que ça cesse. Tu es collée à ma peau et
je ne vois pas comment t’arracher à moi sans que ça ne
laisse de trace. J’en aurais des mois à frotter les résidus.
Tu es partie en claquant la porte. Fort. La chaîne a
sacré le camp. Ça a toujours été comme ça entre toi et
moi : je sors avec des amies, je rentre amochée aux petites
heures du matin, tu m’attends dans le salon de pied ferme
pour me gueuler après et te pousser en plein milieu de
la nuit. Il y a longtemps que je ne me demande plus où
tu vas.
Pourquoi refuses-tu toujours catégoriquement
de fréquenter mes amies ? Tu dis qu’elles ne sont pas
authentiques, et même qu’elles n’approuvent pas le fait
que je partage ma vie avec une femme. Serait-ce ta propre
homophobie internalisée qui parle ?
Elles me demandent souvent ce que je te trouve. Tu es
froide. Avant qu’on se rencontre, tu as arrêté de parler à
ta mère et tu n’as jamais voulu me dire pourquoi. C’est à
peine si tu prends des nouvelles de ton père une fois par
année. Moi, je prends des nouvelles de mes parents tous
les jours.
Tu travailles dans un bar. Tu dis que je bois trop et je
réponds que c’est ta faute. Que c’est ma seule manière
de trouver un semblant de chaleur autour de ton aura
glaciale. À t’écouter parler, je ne fais rien correctement.
Toujours les mêmes reproches : « t’es trop lâche » ou « t’es
pas assez attentionnée ». Je suis une bouteille de bière que
tu as trop brassée. Mon bouchon est sur le point de lâcher.
C’est quand la dernière fois qu’on a partagé un souper,
toutes les deux ? La table accumule la poussière et j’ai déjà
pensé afficher nos chaises sur marketplace.
Tu as insisté pour que j’emménage avec toi. Je t’ai
pourtant dit que ce serait trop petit pour deux. Le bloc
est vieux; les fenêtres n’ouvrent plus et on oublie toujours
de changer la batterie du détecteur. Même les prises
électriques craignent les risques d’incendie. Les murs
s’émiettent, le plancher craque. On ne sait jamais si notre
petit monde va céder sous notre poids. On n’arrive plus à
se parler sans se pogner. On gravite l’une autour de l’autre
dans l’exiguïté de notre trois et demi.
PAR SARAH BARIL-BERGERON
Arrives-tu à déterminer à quel moment notre couple
a basculé ? À partir de quel moment nos relations intimes
se sont-elles transformées en corvée ? À partir de quand
avons-nous cessé de nous faire confiance ?
Est-ce quand j’ai lâché l’école ? Peut-être que ça t’a
confronté à ta propre réalité de barmaid, et que tu as eu
peur pour notre futur.
Ou encore, est-ce à partir du moment où tu as parlé
d’adoption et que j’ai eu la chienne de ma vie ? J’ai pensé
qu’avec nos historiques familiaux respectifs, autant lui
prendre un abonnement à la DPJ en signant les papiers
d’adoption.
La fin a probablement débuté quand notre chat est
mort après que tu aies oublié de le faire rentrer un soir
d’hiver. Je ne t’ai jamais pardonnée.
Tout ce que je sais, c’est qu’un jour, tes yeux se sont
assombris et je me suis mise à rentrer de plus en plus tard.
Toi, saurais-tu me dire quand tout a foutu le camp ?
Impossible de réparer la chaîne de la porte. Les vis
sont finies. Tu n’es toujours pas revenue. Ça fait trois jours
que je t’attends. Tu n’es jamais partie aussi longtemps. Tu
ignores mes appels, tu ne réponds pas à mes textos. Je
n’ai aucune idée où tu dors. Tu t’es tellement isolée ces
dernières années, il n’y a personne vers qui me tourner.
Plus personne pour me comprendre. Peut-être es-tu chez
une de tes exes ? J’aurais beau vouloir te chercher, mais je
ne sais rien d’elles, à part qu’elles sont « toutes des crisses
de folles ».
Les as-tu, elles aussi, laissées sans un mot ?
Est-il encore possible de traverser le pont de notre
distance ? Il est en piètre état : les planches sont moisies,
les cordes s’effritent, il tangue violemment. Un seul faux
pas nous précipiterait dans le vide. Notre amour tient avec
de la colle chaude et des prières. Je n’ai pas l’impression
que le duct tape sera assez solide pour nous faire tenir.
On est au bout du rouleau. Bientôt, il n’y aura plus rien
à réparer.
Il est probablement temps de changer la serrure.
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