La 13e édition des Correspondances d’Eastman s’est tenue du 6 au 9 août 2015 sous le thème de l’enfance. Raphaël Bédard-Chartrand, directeur général et Étienne Beaulieu, directeur de la programmation ont orchestré expositions, animations, spectacles et cafés littéraires, au grand bonheur des festivaliers.
Jardins et chambres d’écriture aux noms poétiques (chambre de la rivière, chambre des poètes, la petite Autriche, parc du temps qui passe) ont accueilli des visiteurs le temps d’une lettre ou de quelques lignes inspirées. Quelques kilomètres de sentiers en forêt (le portage des mots) nous amenaient à la découverte de scènes de romans et de bandes dessinées.
L’espace jeunesse, quant à lui, réservait sous son chapiteau des ateliers de lecture avec Marc Lavertu, Marie-Louise Gay, Sonia Sarfati, Simon Boulerice et Dany Laferrière.
En soirée, les spectacles de Chloé Sainte-Marie, de Fanny Bloom suivis de Lis ta rature, et celui de Johanne-Marie Tremblay lisant Ferron ont ravi les spectateurs.
Au cours de ces trois jours, j’ai eu le plaisir de participer à la classe de maître de Robert Lalonde, à la grande entrevue de Serge Bouchard et à quatre cafés littéraires.
Robert Lalonde nous a dévoilé les fils de trame de son acte d’écrire : la solitude de l’écrivain, l’importance d’obéir à ce qui vient, d’être le témoin qui révèle le personnage et de nous surprendre nous-mêmes en écrivant, la nécessité d’aimer notre discipline de travail et l’impératif de débarrasser le texte de tout ce qui nous ennuie. Il nous a aussi partagés, avec une grande générosité, le parcours sinueux de l’auteur assailli par des doutes sans pitié sur la pertinence du propos ou la qualité de l’écriture, doutes qu’il faut bien écarter, sinon il n’y aurait jamais de livre achevé.
Puis, Serge Bouchard nous a parlé de son parcours de vie. C’est un homme qui a réalisé ses rêves d’enfant : devenir anthropologue, ami des Inuits, camionneur au long cours, écrivain, conteur et animateur d’émissions radiophoniques. Serge Bouchard a publié de nombreux ouvrages dont C’était au temps des mammouths laineux, dans lequel, d’une prose vibrante et nostalgique, il raconte des moments de son enfance (ruelles, trains, camions).
L’atmosphère champêtre et paisible de la terrasse Québecor a accueilli les dix cafés littéraires. Voici quelques lignes qui tracent les moments forts auxquels j’ai assisté. Andrée A. Michaud dans Bondrée donne la parole à une enfant à un moment charnière de son existence : celui du « passage d’une petite fille à l’adolescence, de la beauté au désir ». Elle pense qu’on « sous-estime les enfants » dans leur compréhension des choses. Marie-Josée Martin soutient la même idée dans son roman : « Un jour, ils entendront mes silences ». Son héroïne n’a que cinq ans et, malgré l’incapacité de communiquer avec l’extérieur, elle décode le monde qui l’entoure. Marie-Josée Martin disait de son personnage : « Corinne pose des questions existentielles, très profondes ». S’inspirant de son expérience, elle ajoutait que « l’enfance n’est pas insouciante ». Toutes deux tentaient de répondre à la question thème du café : « Est-ce possible de raconter ce moment étrange de l’existence qui n’a pas encore les mots pour exprimer ce que l’on est en train de vivre ? »
Kim Thùy, Hélène Dorion et Sarah Rocheville étaient les invitées du café Ailleurs l’enfance. Kim Thùy a raconté des pans de son enfance au Vietnam où la culture orientale se distingue grandement de celle de l’Occident. Des valeurs comme l’entraide, l’acceptation du présent (même misérable), le respect des ainés, la place exiguë des enfants transpirent forcément dans son œuvre. Hélène Dorion se disait inspirée des impressions de son enfance. Ses contacts avec la nature, la mer, la montagne, le cycle des saisons, les grands horizons l’ont amenée à penser que « ce qui est vivant est cyclique » et apporte la possibilité de se renouveler sans cesse. Elle décrivait l’écriture comme l’« élément fondateur de la transformation de soi ».
De son côté, Sarah Rocheville, dans Go west, Gloria, offre au lecteur une métaphore de l’héritage laissé à sa génération, celui d’une planète malmenée. Comme son héroïne qui doit quitter son père pour renaître, les gens de son âge doivent « se lever et relever les défis » d’une Terre affligée. Elle utilise l’écriture comme agent de compréhension personnel et d’engagement social. Dimanche matin, au tour d’Herménégilde Chiasson et de Michaël Delisle d’être reçus au café littéraire L’enfance au risque de la mémoire. Comme le disait le texte de présentation, « plonger dans le passé implique une résurgence de douleurs jamais vraiment effacées ». Dans son roman Le feu de mon père, Michaël Delisle a revisité des événements douloureux de son enfance et en est sorti à la fois libéré et transformé. Il a décrit l’enfance « comme moteur de l’écriture ». Herménégilde Chiasson disait considérer l’enfance comme un matériau extraordinaire. Il citait Lacan : « Là où ça parle, c’est là où ça souffre ». Avec Abécédaire, il s’est donné la discipline d’écrire un livre par mois en utilisant les lettres de l’alphabet, ce qui lui a permis de replonger dans son passé. Laure Morali, Simon Roy et Denise Desautels participaient au deuxième café littéraire de la journée, Mon enfance est la tienne. Laure Morali inscrit l’empreinte de l’enfance en filigrane de son œuvre poétique Orange sanguine. Elle trouve de la lumière dans la filiation. Pour Simon Roy, le roman Ma vie rouge Kubrick est né d’un article écrit à propos du chef-d’œuvre de Stanley Kubrick : The Shining. Ce film marquant de sa jeunesse est le point de départ d’un retour sur sa propre enfance et son rapport complexe à sa mère. Denise Desautels affirmait que l’enfance « marque l’adulte et sa vie en général ». Sa dernière œuvre Sans toi, je n’aurais jamais regardé si haut (Tableaux d’un parc) aborde aussi la filiation : « une femme à qui on a coupé les ailes peut-elle permettre à son fils de voler ? »
De l’aveu même des auteurs, les événements de l’enfance teintent l’écriture. Les œuvres servent parfois à s’en libérer, à se souvenir ou à « devenir une meilleure personne » (Hélène Dorion). L’infini des expériences enfantines s’inscrit, semble-t-il, au plus intime des écrits. Pourrait-on dire que lorsque l’écrivain prend sa plume, il le fait au risque de son enfance ?
Les Correspondances d’Eastman sont une expérience unique, un temps de réflexion dans un cadre enchanteur, qui sent les vacances. Grand merci au comité organisateur et à tous les bénévoles.
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