Inspiration… expiration

L’Association des auteures et auteurs de l’Estrie est fière de vous présenter le Dossier création qui rassemble ici trois textes de fiction. Un grand merci à nos trois auteurs et auteures qui se sont prêtés au jeu de la création inspirée du thème de l’inspiration.
Bonne lecture !

INSPIRATION… EXPIRATION

Tes amies ne font jamais allusion à tes kilos en trop. Ton mari s’attarde avec tendresse à tes poignées d’amour et ton amant maintient qu’il t’a choisie justement parce qu’il raffole de tes formes généreuses. Ton médecin (et ton pèse-personne!) le confirment, tu souffres d’obésité chronique. Et ton corps vieillissant te pèse. C’est décidé, tu t’inscris au gym.

Le matin de l’inscription.

La directrice du gym est formelle :

– Je vous mets au défi de franchir le cap du premier cours. Le Pilates ne vous fera pas maigrir, ma petite madame, mais il vous apprendra à inspirer (tu te dis qu’à soixante-dix ans, il est à peu près temps…). Et, ça vous aidera à corriger l’alignement de votre corps (c’est Marcel qui la trouvera bonne celle-là : tu as besoin d’un alignement comme son vieux char!). Vous savez, ma petite madame, on est loin de soupçonner le pouvoir de notre inspiration et de nos muscles. Vous me paraissez en santé malgré votre… surcharge pondérale et le Pilates vous permettra de développer une meilleure conscience corporelle — tu avais eu envie de lui demander comment tu aurais pu faire abstraction de tous ces kilos que tu traînais depuis des années, mais tu t’étais tue. Tenir le coup, cette fois tenir le coup, tu n’avais que ça en tête.

Quand la directrice du gym t’avait demandé ton poids, tu avais répliqué :

– Quoi? Vous pensez que je pourrai pas suivre les autres?

– Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, ma petite…. hum, madame. Il y aura peut-être certains exercices plus difficiles à exécuter à cause de votre… surplus de poids, mais je suis convaincue qu’avec de la ténacité et de l’assiduité, vous allez y arriver.

En plein ce que tu voulais entendre. Contrat signé, tu détales. Vite acheter le tatami et le kit de la parfaite petite-madame-s’en-va-t’au-gym. Lire ici : un t-shirt et un collant — il ne restait que du rose gomme dans le XXL — qui épousent étroitement chacune de tes courbes. Dans la cabine d’essayage, c’est une autre femme qui te regarde dans la glace; tu te sens ficelée comme un jambon.

Premier cours. Devant les murs miroirs, rien que des petites. Des toute maigres. Osseuses, presque squelettiques. Fluettes comme des quenouilles. Des roseaux, des brindilles, des cure-dents. Tu te demandes ce que tu es venue faire dans cette plate-bande d’échalotes. Vite te dénicher une place au milieu de la salle, loin d’un miroir. T’écraser au sol, te répandre de tout ton long sur ton tapis d’exercice mince comme une pelure d’oignon. Tenter de te fondre dans cette petite foule fitness.

Au son d’une musique orientale, entrée feutrée de Madame l’Asperge. Tu t’échines à te remettre à la verticale. Tu penses à Marcel qui t’aime comme tu es, tu penses à l’autre qui, tous les jeudis, ne jure que par tes fesses dodues, ton ventre-ballon…

– Prêtes, les filles? On aligne les pieds, gros orteils bien droits devant. On n’écarte pas les jambes. Bras pendants de chaque côté, doigts pointés vers le sol.

Les autres sont déjà en action et enclenchent le mouvement – inspiration-expiration. Sur le tatami, tu peines à te retourner. La tête enregistre les consignes : tu voudrais prendre appui et te lever, mais le corps accuse un décalage horaire. Le cours vient à peine de commencer et tu sues à grosses gouttes. Pendant ce temps, les échalotes, regard bien droit devant, inspirent… inspirent, ouuuuuuuuuuuuuvrent grand la cage thoracique. Toi, ô pauvre de toi, tu viens à peine de trouver la position souhaitée : tu te concentres sur tes pieds, tes gros orteils, tes bras, tes doigts, mais tu n’arrives pas à respecter le tempo. Déjà les autres poussent dans leurs côtes.

– Poussez, poussez, je vais circuler et toucher vos côtes, annonce l’Asperge, je veux les sentir dans ma main lorsque vous poussez.

Alors que tu ouuuuuuuuuvres la cage thoracique bien large, tes voisines en sont rendues à expirer. Dans le grand silence qui suit leur musique chuintante, ton pchhhiii sonne comme une montgolfière qui s’apprête à décoller. Le cours est à peine entamé que tu es en nage. Bien hâte que l’Asperge t’autorise à expirer. La voici qui s’approche. Tâte ici, tâte là à la recherche de côtes sous l’amas de chairs molles.

– Maintenant, langue au palais, nombril et fesses bien rentrés, on expire en chuintant.

La consigne arrive trop tard pour toi : au bord de l’implosion, tu évacues tout l’air de tes poumons. Regard désapprobateur de Madame l’Asperge qui demande de recommencer le même exercice au sol.

– Cette fois, les filles, on active ses muscles intimes (tu entends déjà les commentaires concupiscents de Marcel et de l’autre). On active le plancher pelvien, on soulève le bassin et en profondeur on prend une longue lonnnnnnnngue inspiration…

 

Quand elle n’est pas en train de lire, Pierrette Denault plonge dans son imaginaire. Parfois elle refait surface avec des éclaboussures d’enfance ou avec des morceaux d’épaves. Quelques-unes de ses nouvelles ont fait l’objet de lecture publique et/ou ont été publiées dans les revues Moebius, Virages, XYZ, Jet d’encre. Après avoir fait partie de l’équipe de Sors de ta bulle, son plus grand bonheur est aujourd’hui de collaborer au Journal de rue de l’Estrie dont elle est la présidente.

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