Lecture et silence, par Bruno Laliberté

Lors d’une journée ensoleillée et chaude d’un printemps hâtif. Bien confortablement assis, il lit, dans un parc urbain qu’il connait bien. Il lève la tête. Quelque chose l’agace. Il garde la page de son bouquin d’un doigt et le dépose sur ses genoux. Il regarde autour et prend conscience de toutes les sonorités qui l’entourent ; d’un côté un grand boulevard plus bruyant qu’à l’accoutumée, lui semble-t-il, avec sa circulation lourde de camions et ses sirènes. Les voitures de sport qui font vrombir leur engin, comme pour tenter d’avertir autrui de leur puissance. Il regarde le livre entre ses mains.  Un refuge. Il y replonge :

« Je suis pogné, oui pogné. Dans une métropole, elle me bombarde d’un bruit de fond agressant entremêlé de musiques trop fortes, de cris et de klaxons qui m’agressent à la fois les oreilles et le cerveau. Merde, je recherche le calme! Je deviens à mon tour rempli d’un tapage mental qui me dérange jusqu’à mon âme. Mes yeux reçoivent beaucoup trop d’informations, au point de me faire loucher et de m’obliger à les fermer. »

 Il est éberlué. Lui aussi est pogné. Il vient souvent ici pour se ressourcer. En ce jour, il se sent oppressé, écrasé. Écrasé par les immeubles de bureaux et les usines empestant l’air de fumée et d’odeurs chimiques. Ils trônent de l’autre côté de la rivière, dans laquelle il se baignait jadis et dont l’eau est maintenant devenue brunâtre. La cupidité et l’insolence humaine lui puent au nez. Il regarde ce cours d’eau esseulé, sale et malade, mais comment s’en sortir? « Qui me répondra? » cette question l’incite à replonger dans sa lecture :

 « Je suis écœuré par toutes ces turbulences et ces soucis qui m’envahissent et m’ébranlent. Je gronde de tout mon être. Une visite monastique s’impose. Elle calmera cette brouille en utilisant le silence intérieur comme solution pour se recentrer ; je connais depuis longtemps cette méthode inusitée de fuir une routine déplaisante et saturante. Le silence purifie les neurones et fait un bon nettoyage comme un grand ménage printanier. »

Il s’arrête. « Silence intérieur » ? Les yeux fermés, il prend quelques respirations profondes, assimile ce récit. Il réalise son goût de fuir lui aussi, fuir ce vacarme. Il se questionne, en réouvrant son livre : le chemin est-il dans la lecture?

« Fuir pour s’adapter à la réalité qui m’entoure n’est pas si bizarre. Pourquoi être en silence dérange-t-il tant ? Alors, dérangeons. Taisons-nous ! Travailler à contre-courant déstabilise mon entourage, et je m’en fous. »

Un sourire naît sur ses lèvres, son corps entier se détend. La voilà sa réponse: la lecture le nourrit, le détache du brouhaha et de sa marotte et le plonge dans un monde insonore. Il tend l’oreille, toutes les étoiles sont alignées pour que les bruits de circulation deviennent de la musique, le rire des enfants, près de lui, reprend sa place et enfin le chant des oiseaux se fait entendre. La fumée émergeant des édifices commerciaux lui rappelle le fumet d’un bon café bien chaud. Il regarde autour de lui. Il est ragaillardi : la ville vit tout simplement. Il insère un signet dans son livre, il se lève et repart, tout souriant, vers chez lui. Il a quelqu’un à appeler.

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