La peur du vide c’est celle de l’ennui ou de l’inutilité.
Celle qui dicte nos pas dans un monde où la recherche d’accomplissements est incessante, une quête propre à chacun, futile ou non, étourdissante, exigeante, éreintante. Cet idéal de vie, une infopub à chaque recoin de nos champs de vision qui pollue nos têtes déjà trop pleines, un marketing incessant martelant les requis du bonheur et d’une vie réussie. Le grondement de la vie extérieure, un bruit blanc qui gèle nos sens ; le grésillement d’un flux magnétique en dérive dérègle notre boussole intérieure ; les bombardements du sort du monde, hurlés par tous les canaux possibles, maintiennent notre état d’alerte. Surcharge. Le corps vacille, culpabilisé par l’inertie qui s’incruste dans le confort de la contre-productivité.
Il y a tant de bruits.
Pourtant, un écho subtil en chacun de nous questionne : à quoi bon ? Quelques rebelles du temps qui fuit s’expriment, mais les harmoniques du monde sont si fortes qu’on peine à les entendre. Cessons cette course, nous disent-ils : elle n’est point trajectoire, mais plutôt giratoire. Décélérer sera notre acte de révolte. Ils s’évertuent, par leurs écrits, leurs études, leurs discours, à agir en porteurs d’eau. Ils clament humblement la divergence : de nouveaux apprentissages seront l’apanage de la survie de notre humanité.
Mais l’inertie domine.
Intoxiqués par les tourments, figés dans le mouvement, dépassés par la vitesse de nos réseaux, le frein à main serait brusque, l’arrêt trop brutal. Nos vies microscopiques, réduites à si peu. Sauter hors du train, un geste fatal ?
La relativité s’invite à pas feutrés.
Inspirer. Prendre son amplitude. S’alléger et s’envoler. Observer à distance. Le fourmillement, les vibrations, les sursauts. Détendre ce qui tiraille, apaiser ce qui frémit et s’extirper de ce cocon asséché. Expirer et atterrir. Ailleurs.
Et si, ensemble, la chaleur de nos souffles suffisait à décélérer. Juste un peu. Juste assez. Et si, avec la douceur du regard, on se prenait la main vers ce chemin de travers. Et si, dans le silence de nos pas, on explorait de nouveaux sentiers avec nos enfants, nos parents. Qu’ils goûtent la beauté de la lenteur ; savourer des liens qui se tissent un fil à la fois ; découvrir ces racines sous la terre et en eux. Et si, le rationnel s’égarait. S’effaçait, juste un peu. Juste assez.
Et si, au fil du tracé, la souffrance s’apprivoisait. Ensemble. Ressentir nos détresses individuelles et collectives, qu’elles cessent de s’échapper en petites ou grandes violences. Et si on s’écoutait. Vraiment. Intimement. Observer le reflet de l’autre sur les aspérités de nos âmes. Déceler nos vérités crues portées à flanc. Se responsabiliser de nos réactions. Nos relations seraient peut-être moins éjectables, jetables. Apprendre à s’aimer avec nos fragilités : nos fragments éclatés, nos illusions malmenées, nos erreurs désarmées.
L’espoir chuchote.
Cultiver le beau et le bon. Savourer la vacuité. Réapprendre l’ennui, l’errance, la lenteur. Retrouver cet instinct. Tel un maître du temps qui s’arrête. Apprivoiser le silence, l’écouter et l’honorer. Tel un sage du vide qui remplit, qui prend soin. Créer ce microcosme, où seul est perceptible le bruissement de la vie qui s’éveille.
Regarder pousser des tomates. Compter les fourmis. S’émerveiller au premier envol d’un oisillon. Accueillir la vie. Juste ça. Offrir une présence à quelqu’un qui souffre. Bercer un enfant qui dort. Prendre un café avec le voisin malade. Accueillir la mort. Juste ça.
Jardiner sa vie: râcler, semer, cueillir, composter.
Vivre en jachère de temps en temps.
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