Véronique Grenier est une autrice estrienne, une conférencière aguerrie et une chroniqueuse efficace. Elle est également enseignante de philosophie au collégial depuis plusieurs années. Mère de deux enfants, elle est née à Magog, à peu près à cette date-ci, juste après la tenue du Salon du livre estrien annuel. Un présage, sans doute.
On dit qu’elle aime le kitsch et les citations et déteste les demandes à l’Univers. Je sais aussi, parce qu’elle me l’a confié, qu’elle adore le café, l’opéra et l’esthétisme dans l’écriture.
Elle a publié de nombreux recueils, surtout de la poésie, tant pour bercer ou interpeller les cœurs adultes que pour entretenir le regard tendre de l’enfant. Elle a collaboré à quelques collectifs et s’est impliquée – collaboration et implication allant de pair – au sein de plusieurs causes sociales d’importance.
On a pu la découvrir plus avant lors de quelques apparitions radiophoniques et télévisuelles ces dernières années, notamment en tant que « philosophe de circonstance » à l’émission Et si on se faisait du bien, diffusée à ICI Radio-Canada, à titre d’invitée à La Table de Kim et plus récemment, à Y’a du monde à messe.
Récipiendaire de nombreux prix littéraires, elle empruntait tout récemment un nouveau chemin d’écriture avec « À boutte : une exploration de nos fatigues ordinaires » chez Atelier 10, un tout premier essai inspiré des choses du quotidien, son thème de prédilection, son principal créneau de réflexion.
Qui de mieux pour honorer la thématique choisie pour le présent numéro de notre revue, pour témoigner de « ces chemins que l’on n’a jamais empruntés », Nous l’avons rencontrée à quelques pas de chez elle, un après-midi d’été, dans la lumineuse verrière de la Maison bleue du Domaine Howard.
Nous nous étions donné rendez-vous tout juste après dîner et, un peu à la course et toujours entre deux rencontres, je craignais d’être en retard, mais surtout de faire attendre indûment mon invitée.
Elle était déjà là, du moins me semblait-il l’apercevoir de loin, blottie patiemment sur la première marche du perron bancal de la petite maison bleue centenaire, dis[1]simulée derrière les grandes hydrangées déjà en fleurs.
Discrète, comme toujours, toute petite et si grande à la fois ! Une âme élevée et généreuse, pas de celles qui regardent de haut, bien au contraire, mais plutôt de celles qui regardent de l’intérieur, vers l’intérieur ! Un sourire avenant, d’un calme olympien (de là sans doute son penchant pour les philosophes grecs), d’une douceur inoubliable, pour qui l’a déjà côtoyée, ne serait-ce que l’espace d’un instant.
Nous étions, je crois, du moins je me plais à le croire, toutes les deux heureuses de nous retrouver et d’envisager la prochaine heure ensemble. Nous nous étions déjà croisées quelques fois ces dernières années lors de divers événements littéraires estriens, mais sans trop se connaître vraiment, finalement. Les prochaines minutes réduiraient sans doute cette certaine distance.
J’avais bien sûr préparé quelques questions, incontournable approche pour une entrevue annoncée. Ce fut finalement un échange spontané, au gré de la brise de juin, un dialogue autour de la découverte du livre dans l’enfance, des premières lignes d’écriture, des êtres qui ont marqué nos vies et ouvert nos yeux à la culture, à la poésie. Ce fut également un heureux partage de nos visions de l’enseignement, de par nos expériences professionnelles communes, mais aussi de l’accompagnement des enfants qui grandissent et des grandes incertitudes de la société présente.
J’abandonnai donc rapidement l’idée de partager avec vous, lecteurs et lectrices, une longue série de « questions-réponses », comme on en retrouve le plus souvent dans toute entrevue digne de ce nom. Au moment d’écrire ces lignes, il m’a semblé évident qu’une rencontre de cette qualité ne pourrait être rendue autrement que par le souvenir d’un rendez-vous d’exception, par la forte impression et le rappel vif et vivant de quelques révélations fidèles à la pensée réfléchie de cette jeune femme sans âge, que je venais tout juste de redécouvrir.
Voici donc quelques-unes des fascinantes facettes de cette autrice de grand talent avec laquelle j’ai eu le privilège de partager quelques minutes au cœur du Domaine Howard, un lumineux après-midi de juin, tout près de l’étang bleu ou blanc, selon les saisons.
VÉRONIQUE, ENFANT
Enfant, Véronique avait la chance d’avoir accès à une petite bibliothèque. Devenue précocement une lectrice avide et dévorante, elle adorait les publications de la Courte Échelle et les frissons des romans policiers. Elle dévorait déjà les livres et était fascinée par Les quatre filles du docteur March.
Plus tard, elle découvrirait l’Odyssée, la poésie de Nelligan, l’œuvre de Marie Laberge et l’univers de Stephen King et aussi, tous les classiques de la littérature québécoise.
VÉRONIQUE, PHILOSOPHE
Véronique Grenier est tout d’abord philosophe, ce qui est en soi plutôt unique. Qui d’entre nous a l’opportunité de côtoyer une personne qui pratique et enseigne quotidiennement la philosophie. Au sens classique, un philosophe est une personne qui vit selon un certain mode de vie en se concentrant sur la résolution de questions existentielles relatives à la condition humaine. C’est quelqu’un qui recherche la vérité, guidée par un questionnement sur le monde, la connaissance et l’existence. Par un certain amour du savoir, aussi. C’est ce qui anime Véronique et ce, depuis toujours.
Plus jeune, elle souhaitait devenir avocate. Elle nous confie avoir toujours aimé les grandes questions et les sujets d’actualité, tel qu’on les retrouve dans les journaux et les médias. Elle s’interroge constamment sur les questions existentielles, telles « Où allons-nous ? D’où venons-nous ? D’où viens-je ? Où vais-je ? » Elle dit s’être intéressée à l’amour, aux ciels étoilés, à l’art floral et au savoir. Elle a donc choisi finalement l’angle de la philosophie.
Elle aime également l’architecture, bien qu’elle ne s’y est jamais destinée. Il me semble que ce second intérêt n’est pas si étranger à ses premières aspirations professionnelles, l’architecture étant « l’art majeur de concevoir des espaces et de bâtir des édifices, respectant des règles de construction empiriques ou scientifiques, ainsi que des concepts esthétiques, classiques et nouveaux, de forme et d’agencement d’espace, en y incluant les aspects sociaux et environnementaux liés à la fonction de l’édifice et à son intégration dans son environnement. »
N’en est-il pas un peu ainsi de la philosophie qui anime notre jeune auteure : saisir ces espaces de l’esprit humain, formuler une réflexion libre et rigoureuse, développer un sens critique et construire peu à peu une compréhension de la vie, selon des concepts esthétiques et classiques également, et de nouveaux aussi, selon une lecture la plus lucide possible des réalités sociales et environnementales de l’heure, de la condition humaine, de l’existence individuelle et collective.
VÉRONIQUE, ÉCRIVAINE
Très jeune, Véronique, incitée par une tante aimante et généreuse, a participé à un premier concours d’écriture. Elle se passionnait déjà pour la poésie, pour les textes d’Émile Nelligan, puis plus tard de Rimbaud, de Baudelaire, de Miron, de Saint-Denys Garneau et d’Émilie Dickinson.
Elle disait même déjà : « Quand je serai grande, j’écrirai. »
« Ce qui alimente la poésie, dit-elle, c’est un regard particulier sur la présence quotidienne, sur la lumière, sur cette capacité de rendre en mots le train-train quotidien. Avec les années, je me raffine », ajoute-t-elle.
Elle confie également : « J’ai toujours plusieurs projets d’écriture à la fois, en même temps. C’est stimulant ! Je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire, mais je ressens un manque quand je n’écris pas. »
Ayant abordé d’un premier jet la poésie, cet art de combiner les mots, les sonorités et les rythmes pour évoquer des images, suggérer des sensations, des émotions, Véronique devenait tout récemment essayiste (quoique je me disais que l’essai était sans doute sœur de la philosophie), mettant à profit ses connaissances philosophiques dans un discours critique, développant une réflexion, exposant ses opinions, son point de vue personnel sur un sujet donné, en l’occurrence ici « la fatigue ordinaire », abordée dans À boutte paru tout récemment.
Mais qu’en est-il de cette envie de glisser tout doucement son regard, son inspiration et sa plume du poème à l’essai ? À cette question, l’autrice répond que l’essai ne se situe pas si loin de la poésie, finalement. La fatigue quotidienne s’intéresse à l’intellect, bien sûr, mais, comme elle le confiait à Anick Poulin d’ICI Estrie en novembre 2022 : « Le poétique, pour moi, fait partie de ma réflexion. Oui, c’est un exercice de pensée, mais c’est un exercice de ressenti aussi ce livre-là. »
VÉRONIQUE, MÈRE ET FEMME ENGAGÉE
Lors de notre rencontre, avant de nous quitter, je n’ai pu passer sous silence toutes ses réalités sociales au cœur desquelles elle s’implique entièrement, et ce, depuis de nombreuses années maintenant. Je pensais à Arrimage Estrie dont la mission est la promotion de l’acceptation du corps et la diversité corporelle, des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, au Conseil de statut de la femme et à son rôle en 2016 comme co-porte-parole de la campagne nationale « Sans oui, c’est non » pour contrer les violences à caractère sexuel, et combien d’autres. J’avais le goût de lui demander, en conclusion, en quoi cet élan bénévole, ces implications sociales et proactives nourrissent-elles son propre sens de la vie ?
À cette question, elle me répondit, tout simplement : « Çà valide, çà apaise. C’est notre devoir de citoyen ». Elle m’expliqua également que cela contribue au développement de la culture, à l’engagement, ces valeurs essentielles qu’elle souhaite transmettre à son fils et à sa fille. Ce sont des valeurs d’humanité, un privilège, un engagement envers le monde et envers notre quotidien.
***
Nous nous sommes quittées tout simplement, cet après-midi-là, le temps d’une pause jusqu’à notre prochain rendez-vous que nous planifions, en vue d’un futur « micro ouvert », ou dans le cadre du lancement de la présente revue prévu lors du Salon du livre de l’automne, à l’occasion duquel elle m’offrait gracieusement de partager une lecture.
Et je me surpris à refermer la porte de la Maison bleue derrière moi et à décider d’aller marcher quelques minutes dans le calme et inspirant Domaine Howard, avant de courir au prochain rendez-vous prévu à mon lourd agenda, encore inspirée de cette sereine rencontre et bercée de cette citation puisée dans le ré[1]cent essai de mon invitée qui ne souhaite finalement que d’inspirer ses lecteurs dans la poursuite du sens de leur propre vie…
« Je me dis que ce qu’il faut peut-être simplement chercher, c’est l’apaisement. »
***
Au moment de publier ce numéro, Véronique Grenier assume la présidence d’honneur de l’édition 2023 du Salon du livre de l’Estrie
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