Promenons-nous dans les bois ou l’inspiration qui n’a pas encore mis sa culotte

Il fait un soleil magique et propice à l’inspiration ! Je me rends sur les bords du lac, mon carnet et un crayon à la main. Rien d’autre ne m’accompagne vers le Memphrémagog, ce confident qui accueille sans compter mes chagrins et célèbre avec moi le bonheur. Ce lac qui sait vibrer, se déchaîner et frémir. Lamartine en savait quelque chose, lui qui a écrit Ô lac! l’année à peine a fini sa carrière, / Et près des flots chéris qu’elle devait revoir / Regarde! je viens seul m’asseoir sur cette pierre.

Je m’assois sur une pierre comme le poète et j’attends le souffle créateur pour pondre un texte sur l’inspiration.

Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure ! / Vous, que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, / Gardez de cette nuit, gardez, belle nature, / Au moins le souvenir !

Le vent caresse mes épaules et mes bras. Le concert des vagues bat la mesure sur les grosses pierres rondes autour de moi et couvre (presque !) le bruit nasillard des moteurs des bateaux au large. Malgré le tableau idyllique, la muse de Lamartine ne chante pas, et la mienne tarde. En lieu et place d’une fantaisie romantique à la manière du poète, une comptine surgit de nulle part. Promenons-nous dans les bois pendant que le loup n’y est pas (…) Loup, y es-tu ? Que fais-tu ? Je mets ma culotte… Si le loup de la comptine répond et que la ritournelle se mue en ver d’oreille, mon inspiration, elle, reste aussi muette que les rochers du lac du Bourget. Mais je suis déterminée. Il n’est pas question que je fasse faux bond à Mélanie à qui j’ai promis un texte sur l’inspiration.

– Inspiration, y es-tu ? Que fais-tu ? demandé-je à droite et à gauche. Je suis prête !

Le vent continue de souffler et moi, d’attendre le souffle créateur qui brille par son silence assourdissant. Une vague plus forte que les autres m’éclabousse et me rappelle à l’ordre :

– Tu dois mettre ce crayon en mouvement, me fait-elle comprendre.

En fille obéissante, je pose la pointe sur la page.

La mine s’écrase.

Un signe du destin ! Au diable, la vague et son message ! Ce texte, je ne dois pas l’écrire. Je vais jouir du moment qui passe et de la danse des nuages sans rien rédiger, quitte à demander pardon à Mélanie en me portant volontaire pour embrocher des fruits avant chacun des brunchs littéraires de l’AAAE.

– Une promesse, c’est une promesse, me rappelle une nouvelle vague.

– Inspiration, y es-tu ? Que fais-tu ? grogné-je en épluchant le bois du crayon avec mes ongles pour dégager le graphite.

– Je ne suis pas prête. Je mets ma culotte ! répond-elle. Ne m’espère pas trop vite.

Bon, si elle le prend ainsi, me dis-je en me résignant, je vais risquer quelques mots avec cette mine au bout funestement carré.

Je repense à cette commande pour un récit destiné aux tout-petits. De multiples exigences l’accompagnaient, comme celles d’un lieu précis, d’une période déterminée, d’ardoises, de jouets, de planche à laver, de lunettes et d’autres objets du même acabit. Loin de nuire à ma créativité, tous ces mots que m’avait énumérés la chargée de projet s’étaient mis à danser dans ma tête. À leur seule évocation, des liens se tissaient entre eux.

Ce jour-là, l’inspiration n’avait pas attendu d’enfiler culotte, chemise et chaussettes pour accourir vers moi au grand galop. Mais c’était trop beau. Une des règles du contrat stipulait que je devais soumettre le plan de l’histoire pour discussion, approbation, réorientation…

UN PLAN ! Aussi pire que d’écrire sur le thème de l’inspiration pour Mélanie ! Mais voyons les choses du bon côté, me suis-je dit. Pourquoi ne profiterais-je pas de l’occasion pour approcher l’écriture de fiction de manière différente ?

Ne dit-on pas partout qu’il faut oser sortir de sa zone de confort ? Je vais sortir de ma zone de confort et enfin me conformer à ce qu’on nous enseigne à l’école. J’ai écrit les mots Chapitre 1, Chapitre 2 et Chapitre 3 dans une colonne. Puis plus rien. La date de tombée approchait et ma page restait tristement blanche quand je me suis décidée à changer de stratégie. J’ai écrit Personnage principal : William, un garçon de 6 ou 7 ans. C’était bien parti ! J’ai poursuivi avec les mots Scène 1, Scène 2 et Scène 3.

Puis, silence de mort sur une feuille plus tout à fait blanche.

Tu es capable, me suis-je répété après avoir inspiré et expiré 47 fois.

Peine perdue. J’ai songé à accrocher mon crayon et à me mettre à l’apprentissage du japonais. Ou du russe.

– Inspiration, que fais-tu ? ai-je gémi, les larmes aux yeux.

– Je suis toute nue et j’attends que tu arrêtes de te conformer, a-t-elle hurlé à tue-tête pour que je l’entende bien.

– Et que penses-tu de l’idée de sortir de ma zone de…

– Arrête de penser et écris !

Je n’ai pas voulu la contrarier au cas où elle me bouderait et garderait le silence pour toujours. J’ai déchiré le plan et posé la mine bien pointue de mon crayon sur une nouvelle page et, miracle, mon héros a pris la parole. Dans la première scène, William est lent à enfiler sa culotte. C’est mon clin d’œil à l’inspiration qui n’en finit jamais de s’habiller avant de venir me visiter.

Tout à coup des accents inconnus à la terre / Du rivage charmé frappèrent les échos ; / Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère / Laissa tomber ces mots : « Ô temps, suspends ton vol ! »

Je ferme mon carnet et salue le lac avec respect. Il me reste à transcrire le texte pour Mélanie à l’ordinateur. Puis à le travailler. L’inspiration peut s’attarder au lac, si ça lui chante. Je reviendrai la visiter à un autre moment, peut-être lorsque les heures propices suspendront leur cours et que Lamartine m’invitera à savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours !

 

Écrivaine et éditrice, Anne Brigitte Renaud est l’auteure de nouvelles et de récits publiés dans de nombreux collectifs et revues. En 2015, elle fonde avec l’écrivaine Michèle Plomer les éditions Chauve-souris, qui se consacre à l’édition de romans jeunesse souriant à l’aventure, intimement liés au territoire et ouverts sur l’autre. Sueurs froides, son premier roman jeunesse, a été écrit à quatre mains. Il a été inspiré par le froid du Grand Nord québécois où Anne Brigitte et Michèle ont séjourné à l’hiver 2015.


« On ne peut pas attendre que l’inspiration vienne. Il faut courir après avec une massue. »
Jack London


 

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