RÉUNIR SES RÈVES

Entrevue avec Nathalie Lagassé à propos de ses titres : Tel était leur destin (tome 1) – De l’autre côté de l’océan (Éditions Hurtubise, 2016) et Tel était leur destin (tome 2) – Les racines d’un village (Éditions Hurtubise, 2017)

MME LAGASSÉ, COMMENT ÊTES-VOUS ARRIVÉE
À L’ÉCRITURE DE ROMANS HISTORIQUES ?

Depuis fort longtemps, je me passionne pour l’histoire, les voyages, la généalogie et la lecture. Cependant, la vie m’a menée vers la finance et j’ai fait carrière dans une institution financière. C’est seulement lorsque les enfants sont devenus grands que l’écriture de mon premier roman a pu établir un lien entre ces quatre grandes passions.

Depuis l’adolescence, j’avais deux grands projets : faire mon arbre généalogique et écrire un roman. Je n’avais jamais pensé que les deux pouvaient être reliés. Après avoir retracé des milliers d’ancêtres, je me suis dit qu’il faudrait bien que je réalise aussi mon deuxième projet un jour. Oui, mais écrire quoi? J’avais essayé plusieurs années auparavant d’élaborer des scénarios, mais rien qui accroche mon cœur. Puis, d’un seul coup, l’idée m’est apparue clairement. Pourquoi ne pas écrire l’histoire de la vie de mon ancêtre patronymique qui a décidé de venir s’installer de ce côté-ci de l’océan? Mes deux rêves réunis!

PARLEZ-NOUS DE VOTRE LIVRE

 C’est un roman historique qui débute en 1664 à l’île de Ré en France. Ce qu’il a de particulier, c’est que les personnages qui y évoluent ont réellement existé il y a trois cent cinquante ans. J’y raconte l’histoire de mon ancêtre patronymique André Mignier dit Lagacé et de la femme qu’il aime, Marie Jacques Michel, mais qu’il ne peut épouser. J’ai fait de nombreuses recherches pour découvrir les faits se rapportant à ces ancêtres et les gens qu’ils ont côtoyés et pour apprendre l’histoire de cette époque. J’ai utilisé mon imagination pour combler ce qu’on ignore. Je présente donc ma vision de ce qui a pu se produire, un amalgame de faits historiques et d’imagination.

PARMI LES MILLIERS DE TITRES POSSIBLES,
POURQUOI AVOIR OPTÉ POUR CELUI-LÀ ?

Ces premiers ancêtres qui ont quitté leur pays pour en fonder un autre ont eu un destin particulier. Ils ont vécu des choses vraiment différentes de leurs compatriotes restés en France. Tout au long de l’écriture, je me disais aussi que ce devait être leur destin de venir s’établir en Nouvelle-France pour que moi j’y naisse, plusieurs générations plus tard. Leur destin lié au mien.

POURQUOI AVOIR OPTÉ POUR UNE OEUVRE
IMAGINAIRE AU LIEU D’UN RÉCIT FAMILIAL ?

Je voulais raconter l’histoire de mon ancêtre patronymique et décrire le plus précisément possible la vie à cette époque. J’ai opté pour le roman, car je voulais que les personnages transmettent eux-mêmes aux lecteurs leurs émotions à travers les difficultés, les choix, les adieux, les amitiés et l’entraide. Le roman était pour moi la meilleure façon de faire revivre ces personnes et de leur rendre hommage.

TOUT AU LONG DE LA LECTURE DE VOTRE LIVRE,
ON NE PEUT S’EMPÊCHER DE PENSER
À LA RÉALITÉS DES FAITS DONT IL EST INSPIRÉ.
COMMENT DÉMÊLER LA RÉALITÉ DE LA FICTION ?

La plupart des faits ont réellement eu lieu. Il est difficile pour les lecteurs de démêler tout cela, à moins d’effectuer des recherches. Au Québec nous sommes privilégiés, aucune guerre n’a détruit nos archives. Nous avons accès, tout à fait gratuitement, à presque tous les actes notariés de la colonie. Ils contiennent une foule d’informations. Pour les actes de concession de terre par exemple, on apprend où elle est située, quelle est sa superficie, qui sont les voisins. Avec les contrats de mariage, nous avons, entre autres, le nom des parents, le lieu de résidence, le métier, le nom des témoins. Les actes religieux et les délibérations du Conseil Souverain nous fournissent également une grande quantité d’informations. Les communautés religieuses et les dirigeants ont laissé beaucoup d’écrits auxquels nous avons accès aujourd’hui.

Pour résumer, les dialogues sont de la fiction, mais la quasi-totalité des décisions prises par les personnages est vraie. J’ai même ajouté des faits insignifiants comme une tornade en Guadeloupe pendant que le navire le Brézé s’y trouvait; j’ai trouvé cette information dans un vieux récit d’un notable.

PARTAGEZ AVEC NOUS LES ÉMOTIONS
ET LES SENTIMENTS QUI VOUS ONT HABITÉS
LORS DE L’ÉCRITURE DE CE LIVRE QUI
EST L’HISTOIRE DE VOS AÏEUX.

Le premier mot qui me vient à l’esprit est : courage. Imaginez le courage qu’il a fallu à ces hommes et ces femmes pour prendre la décision de quitter parents et amis pour s’établir dans une nouvelle colonie, en sachant qu’ils ne leur parleraient ni ne les reverraient plus jamais. La traversée de l’Atlantique, avec une nourriture de moins en moins fraîche et de l’eau de plus en plus croupie, durait de deux à quatre mois. La plupart du temps, les passagers étaient enfermés dans l’entrepont pour ne pas nuire aux manœuvres.

En Nouvelle-France, la terre était gratuite, mais il fallait couper les arbres qui la recouvraient avant de penser à semer du blé pour se nourrir. Il fallait aussi construire une cabane, isolée avec de la paille et de la boue. Les pionniers avaient besoin de vingt cordes de bois de chauffage pour traverser l’hiver. Ils travaillaient très fort et faisaient preuve de persévérance. Plus j’en apprenais sur eux, plus ils devenaient mes héros. Mes ancêtres m’ont inspirée pour l’écriture et ils m’inspirent encore dans d’autres sphères de ma vie.

COMME ON DIT « QUI PREND MARI,
PREND PAYS », ICI ON POURRAIT PLUTÔT DIRE !
« QUI PREND PAYS, PREND FEMME ».
LE ROI A DÛ ENVOYER DES FILLES POUR
LE PEUPLEMENT DE LA NOUVELLE-FRANCE.
VOUS PRÉSENTEZ UNE VERSION
DE CES PIONNIÈRES BIEN DIFFÉRENTES 
DE CELLES DE MAUVAISE VIE QUE
CERTAINS CONNAISSENT. FICTION OU RÉALITÉ ?

Au XVII siècle, il y avait environ une femme pour six hommes en Nouvelle-France. Les colons qui voulaient s’établir ne trouvaient pas d’épouse pour les épauler. Le roi Louis XIV a décidé d’envoyer en Nouvelle-France des femmes, souvent veuves ou orphelines, pour prendre mari et peupler la colonie. En tout, elles sont 763 qui sont venues entre 1663 et 1673. Le roi payait leur traversée, fournissait quelques articles de première nécessité et donnait une dot.

Par le passé, certains historiens ont qualifié les Filles du Roy de filles de joie. Aujourd’hui, nous savons que c’est faux. L’historien, Yves Landry, qui a fait sa thèse de doctorat sur les Filles du Roy, nous en apprend beaucoup. Un des arguments scientifiques qui réfute que les femmes qui sont venues aient pu être des prostituées est simple. En ces temps, la syphilis était très virulente et, entre autres, rendait stérile. Beaucoup de prostituées en étaient atteintes. Or, il a démontré que les Filles du Roy ont eu plus d’enfants que les femmes du même groupe d’âge restées en France.

La Société d’Histoire des Filles du Roy, dont je suis membre, travaille sans relâche pour faire connaître et reconnaître l’immense apport de ces pionnières. On les appelle les Mères de la Nation, pour la simple raison qu’elles ont contribué grandement au peuplement de la colonie et sont les ancêtres d’une grande partie de la population.

PRÉSENTEZ-NOUS BRIÈVEMENT VOTRE TOME 2
QUI EST DÉJÀ DISPONIBLE.

Dans le tome 2, on assiste à la naissance d’un village alors que d’autres colons obtiennent des terres et s’y établissent. L’entraide est au rendez-vous, car les familles s’agrandissent et la terre doit être défrichée. Ces premiers ancêtres ont vécu une situation particulière, ils n’ont pas eu de famille pour leur venir en aide, ils ne pouvaient compter que sur leurs voisins et amis. L’adaptation à un nouveau pays n’est pas toujours facile!

 

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