RICOCHET : Lise Blouin répond à Louise Simard

Les personnages, mon ancre

Comment choisis-tu tes sujets de roman ? La question, lancée par Louise Simard dans le dernier numéro d’Alinéa, était adressée à Mylène Gilbert-Dumas, mais elle a ricoché dans ma cour.

Elle est moins pertinente pour moi, qui n’ai pas publié depuis une dizaine d’années, bien que je n’aie pas cessé d’écrire. Mon imaginaire ne fourmille pas d’histoires, comme celui de cette grande romancière qu’est Mylène, dont les carnets regorgent d’histoires en attente. À vrai dire, je n’en ai aucune. Ce ne sont pas tant les histoires qui me portent à écrire que les personnages qui me hantent et qui m’incitent de plus en plus fortement à les traduire en mots, afin d’avoir accès à la vie. À la manière de Sylvie Germain dans Les personnages (2004, p. 25), je suis convaincue que « le personnage nous met au défi de ″prouver″ son existence par la force du langage, de faire s’épouser le rêve et la réalité par la magie du verbe ».

Je suis une batelière, une intermédiaire entre le personnage qui squatte mon inconscient et l’histoire qu’il quémande à travers mes mots. Son existence dépend de mon écriture, de ma langue aux aguets. Une fois traduit en mots, il existe aussi réellement que toute personne que je connais. Les personnages de mes précédents romans ont connu ce privilège d’accéder à la vie.

Mais depuis, l’édition refoule les nouveaux dans leur grotte, ignore leur main tendue vers les lecteurs. Comment ne pas me sentir en dette envers eux ?

Que dirait madame Germain d’un personnage échoué ? Que son auteure n’a pas été digne de lui ? Qu’elle l’a trahi ? Qu’elle n’a pas su le traduire ? Seul le personnage saura combien j’ai épousé sa nature, combien j’ai tenté de décoder son mystère en m’enfonçant à sa suite dans des galeries souterraines, en explorant les cavernes où il se terre pour mieux comprendre sa quête. J’ai erré, dans les deux sens du mot.

S’il est refoulé aux ténèbres, que devient ce mendiant, madame Germain ? Il trépigne et tient par les pieds l’autre, le nouveau, qui veut émerger. Jaloux, il tente de faire avorter toute nouvelle tentative. L’auteure sèche. Au donjon, mes personnages.

Cette condamnation ne peut pas venir que de mon impuissance. L’auteure que je suis n’est pas seule à jouer. Une fois mon livre écrit, je passe le relais à l’éditeur. Or il appert que de plus en plus souvent le témoin est échappé. On entend parler d’une crise dans le monde de l’édition. Quelle crise ? Les grandes maisons publient moins, dit-on, mais plusieurs petites sont nées. Et de nombreux romans sont publiés chaque année.

Je constate également que plusieurs premiers romans sont publiés par de nouvelles maisons d’édition, mais aussi par celles bien établies, qui cherchent la voix nouvelle, singulière. Mon propos semble envieux, pourtant je lis ces voix neuves, issues souvent decertificat-baccalauréat-maîtrise-doctorat en création littéraire. Elles sont inspirantes, stimulantes. Mais comme elles occupent une bonne part de la production annuelle des maisons d’édition, quelle place reste-t-il aux auteur.e.s que je qualifie « d’auteur.e.s du milieu », pris en sandwich entre ces voix nouvelles et les auteur.e.s reconnu.e.s attaché.e.s à une maison ? J’en connais plusieurs, qui en connaissent d’autres, qui en connaissent d’autres. Nous sommes une belle bande d’écrivain.e.s à ne plus avoir de niche. Yvon Paré déplore l’absence de couverture médiatique dans sa chronique de Lettres québécoises, lorsqu’il écrit : « J’ai maintenant un âge que l’on a banni des pages littéraires. » Nous sommes nombreux à ne même plus espérer qu’on parle de nos œuvres, étouffées qu’elles sont dans la poussière de nos tiroirs. Il me semble entendre parfois ce lamento souterrain de tous les personnages bâillonnés.

Trouver un éditeur qui permet à un.e « auteur.e du milieu » de poursuivre l’œuvre entreprise depuis des années relève du miracle, à moins de faire partie du peloton de tête d’une maison, ou d’être vedette du petit écran, journaliste, personnage connu. Dernièrement, un éditeur d’expérience m’a avoué qu’il existe de l’âgisme dans le milieu de l’édition, pire encore dans celui de la presse. « Je ne vous cacherai pas que faire la promotion d’un ouvrage d’un.e auteur.e de votre génération est un très grand défi », m’a-t-il honnêtement confié en appuyant sur le très.

Voilà que la vie que j’ai concédée au personnage, qui palpite dans le manuscrit présenté, l’édition la lui refuse. Projet avorté. Car que valent un livre, une histoire, un personnage, si en fin de compte on court-circuite leur élan vers une pleine lumière ? Le livre comme une main tendue vers l’autre. Là où le personnage peut enfin vivre son humanité. Que vaut donc la messagère d’un tel ratage ?  « Vise le billot. Si tu vises le rondin, tu n’obtiendras rien. Vise au-delà du rondin; vise le billot », écrit Annie Dillard. Mes écrits, billots ou rondins ?

Après plusieurs refus, les doutes me paralysent.

Ma perception de l’édition est-elle fausse ? Que dirait à ce sujet Christiane Lahaie, directrice littéraire d’une maison d’édition reconnue, à une « auteure du milieu » ? Lui conseillerait-elle l’autoédition ?

 

Lise Blouin a publié six romans dont L’or des fous. Elle anime depuis cinq ans des ateliers de création littéraire à l’AAAE.

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