Le bonheur, par Rachel Bériault Roberge

Je m’appelle Rachel. J’ai 77 ans. Je découvre les pinceaux à l’eau. Un jour j’écoute mes musiques préférées et je me décide enfin à barboter dans l’eau. Comme une enfant, je transporte les pinceaux de l’eau aux couleurs, au papier. Les gouttes parfois volent plus haut que le papier parchemin, les mains et les yeux néophytes doivent retenir la passion. Un hasard ce nouveau parcours, jamais au grand jamais je n’ai pensé emprunter ce chemin. Je n’aurai pas assez du reste de ma vie pour apprendre tout, mais tout sur l’art de l’aquarelle. De plus, je ne sais même pas dessiner. On m’invite à reproduire sur un papier transparent les images que je veux peindre. Je refuse de les décalquer. Ce qui jaillit sur papier, je le réalise avec le crayon et l’efface. J’efface et je dessine. Je dessine et j’efface. J’abdique souvent, le sujet est encore trop difficile. Je dois faire des esquisses simples. Je ne connais même pas mes couleurs primaires. Mes yeux, après deux ans, commencent à peine à discerner les couleurs, les ombres à la surface d’un lac, les nuances dans le ciel.

Là , je patauge, je barbouille. Je vis une vie colorée avec les mélanges de couleurs et les oiseaux qui chantent sur le bord de ma fenêtre. Dans la mangeoire fixée à la porte-fenêtre, ils chantent dès leur arrivée, surtout les chardonnerets. Parfois, il y a des batailles comme chez les gangs de rue. Ils se chamaillent. Pas seulement un sport d’enfants ces disputes. Le bonheur, il est là. Je lève les yeux, je les regarde puis je reviens à mes pinceaux. Saurai-je un jour vous peindre, beaux oiseaux? Je viens de donner vie à mon premier Bécasseau variable.

J’avance, un pas, deux pas. Je bifurque. Et puis je vois le chemin de Compostelle. Je rêve encore et depuis vingt ans à ce sentier de l’autre côté de l’océan, contrairement à la peinture à l’eau qui a surgi dans ma vie comme un éclair dans l’eau. J’avance, je trace le chemin sur mon papier parchemin, je me vois marcher dans un des sentiers qui sillonnent notre pays, le premier, le Chemin du Roy, là où par le passé les hommes ont cassé des tas de cailloux pour donner forme à ce parcours, et accueillir des pieds usés comme les miens.

Et là essoufflée, peut-être éreintée, je reprends mes pinceaux que je trempe dans l’eau une dernière fois. J’amorce une esquisse de la Voie lactée. Je couche sur le papier un fragment de cette beauté céleste en rêvant qu’au temps venu, je puisse emprunter la voie du Divin pour aller retrouver les miens.

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