Le travail était simple, enfin, c’est ce que son employeur lui avait dit. Cela faisait donc deux mois que Médéric4 déplaçait des balises territoriales. Au début, il ne se posait pas de questions. Le jeune homme dirigeait le bras mécanique qui saisissait la tige émettrice clignotante et la positionnait à son nouvel emplacement. Les balises délimitaient la frontière du territoire connu en émettant un signal au centre d’une zone que l’humanité revendiquait. En quelque sorte, le groupement galactique, composé de la Terre et de ses colonies, s’attribuait des parcelles d’espace. Ces balises le signifiaient à tout le monde dans l’univers. C’est-à-dire, personne. L’humanité n’avait accordé la désignation d’être doué d’intelligence à personne d’autre qu’elle-même. De toute façon, à sa connaissance, seule l’humanité possédait les moyens de voyager dans l’espace.
Chaque semaine, il remettait un rapport sur l’avancée de la frontière. Médéric4 imaginait la chambre politique, mangeant des petits fours en s’autogratifiant de l’expansion de leur territoire. La conquête spatiale relevait plus du balisage que d’autre chose.
Médéric4 n’était pas mécontent de sa situation. La base orbitale où il habitait, à quelques parsecs de là, était assez confortable. En comparaison de son ancienne occupation, être assis dans un vaisseau à déplacer des tiges métalliques, représentait une sécurité bien plus importante que de faire face à la bactérie mangeuse de chair sur Thales2.
La dernière balise émettrice de sa liste enfin à sa nouvelle place, il se dirigea vers la station orbitale. Demain sera la même journée. L’homme regagna donc sa cellule. Il essuya d’un revers de manche la grossière larme qui coulait sur la photo de son ancienne famille. Son épouse l’avait quitté, dès lors son groupe affectif avait explosé. Résigné, Médéric4 enfourna une autre bouchée dans le trou qui lui servait de bouche. Son estomac noué n’acceptait que son amertume comme repas. Pourtant il devait s’alimenter. Il se força donc à finir son plat déshydraté en espérant qu’un jour ses larmes se tarissent.
Au levé, Médéric4 prit la liste de tâches qui sortait d’une fente murale. La bordure sombre lui avait été attribuée : une réparation et pas mal de repositionnements d’émetteurs. Cela faisait des cycles qu’il n’avait pas vu de balises neuves. Il espéra avoir les pièces nécessaires dans son stock. Il vérifia mécaniquement la contamination et l’usure de la coque du vaisseau. L’Ormiach est un bon vaisseau, avec sa grande soute hébergeant un atelier ainsi que son poste de pilotage sommaire et fonctionnel. Il était fait en couloirs et dans chaque recoin, aussi petit soit-il, un rangement prenait place. Sur les cinq compartiments à balise de remplacement, trois étaient vides.
Méderic4 glissa la photo dans une fente d’aération. Sa première épouse s’était embarquée avec John, un chic type, dans la colonie orbitale 68. Ils ne l’avaient pas prévenu. Médéric4 les aurait accompagnés, s’ils lui avaient proposé… mais personne ne lui avait proposé. Depuis le désastre advenu sur Thales2, il y avait eu un froid dans leur famille. La mort de K2mie avait changé leurs relations.
Il ferma le sas, vérifia les propulseurs et débuta sa liste de tâches. Généralement, dans la bordure sombre, les navigateurs se repèrent grâce aux étoiles. Ici, il n’y en avait pas. Médéric4 se concentra sur les coordonnées de la balise ainsi que sur son radar. La vue dans ces ténèbres n’était d’aucune utilité. Ce secteur fermait l’univers, un lieu où plus rien ne bouge. La balise défectueuse, elle non plus, ne brillait plus. Une fois le périmètre connu dépassé, il n’y avait rien que l’obscurité, le silence et le froid.
Pour briser le vide, son doigt appuya sur le bouton « lecture » et une musique fade résonna dans le cockpit. Puis, une seconde touche fut pressée et des signaux lumineux furent émis. Il reprit les commandes et alla aux coordonnées de l’engin à réparer. Au point indiqué et malgré les outils de réflexion lumineuse, il n’y avait rien. La balise était vieille et son périmètre d’émission limité réduisait la zone de recherche. Après avoir effectué quelques manœuvres et à bout de patience, il fit exécuter au vaisseau un demi-tour afin de placer une autre balise et partir.
Une secousse l’avertit de la percussion d’un objet à l’extérieur de l’habitacle. Il l’avait trouvée. La balise 489512 commençait à dériver dans l’espace. Il fallut toute l’habileté de Médéric4 pour se mettre à la suite de celle-ci. Ignorant le signal sonore l’avertissant de sa sortie de la zone connue, le pilote raffermit sa prise sur les commandes de la pince. Quelques voyants de plus clignotèrent sur le tableau de bord. Les bras en acier se refermèrent sur la tige métallique, une poussée de propulseur arrêta sa dérive.
Il tenait son objectif, il le voyait en face de lui. Pourtant son regard se porta ailleurs. Quelque chose avait attiré son attention. Une sorte de point scintillait au loin. Il réorienta le vaisseau afin de l’avoir au centre de son champ de vision. Le bruit dans le cockpit se tut pour la bonne raison que Médéric4 venait de couper tous les circuits. L’humain savait bien que la chaleur, les mouvements et les ondes servaient à repérer les objets dans l’espace. Il enfila vite sa combinaison pour ne pas mourir de froid, ferma le scaphandre et regarda ce point qui arrêta de scintiller pour émettre une lumière blanche continue. Puis, il y eut une plus grande intensité lumineuse, probablement due à une déflagration. La lumière prit soudainement une trajectoire linéaire laissant dans son sillage une sorte de traînée blanche. Médéric4 ralluma l’ordinateur de bord et consulta la carte. Suivant ses estimations, la source lumineuse se trouvait en dehors des zones balisées, hors de l’espace connu. Il n’avait pas de repères hormis ce point mouvant qui ne correspondait à rien. Bien sûr, s’il faisait demi-tour, il retrouverait l’univers avec ses étoiles, la colonie, la station, la routine. L’humain devait prendre une décision.
Il ne pouvait contacter personne et personne n’était dans ce secteur à part lui et ce point brillant. Il eut soudainement chaud, il sentait sa poitrine se serrer et ses mains tremblèrent. Il pensa à K2mie, morte sur Thales2, il eut l’image de sa première épouse avec John, puis de sa cellule, sa couverture, son bol. Médéric4 s’assit, regarda le point se déplacer. Jusque-là, il n’avait jamais été celui qui décide, uniquement celui qui suit. Il ralluma tous les circuits. Le radar, indiquant sa position, l’avertit qu’il avait dépassé de cent mètres la bordure. Médéric4 déglutit, alluma les propulseurs et dans l’obscurité la plus totale, alla vers la lumière.
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