Entrevue avec Diane Boulé, Chef de section, Bibliothèque de Memphrémagog, Magog
Diane m’avait donné rendez-vous en milieu d’avant-midi, à ce moment précis où la lumière embrasse à sa pleine largeur les magnifiques vitraux floraux, admirablement préservés et restaurés, fidèles à leur origine. Nous avions convenu que j’apportais mon appareil photo et, qu’avec sa permission, je pourrais librement parcourir le large environnement lumineux et aérien de ce lieu de culture unique, à la fois majestueux et enveloppant.
Elle m’attendait, souriante et accueillante, non pas derrière le comptoir, mais bien dans le grand hall d’entrée, jasant chaleureusement avec un visiteur, sans doute un usager, comme elle aime si bien le faire dès que ses nombreuses responsabilités cèdent un certain espace à son agenda pourtant bien rempli. « Le contact avec la clientèle est prioritaire pour moi », me confie-t-elle simplement, d’entrée de jeu.
Je la suis, empruntant les marches de bois blond du long escalier de verre donnant accès à une large mezzanine, surplombant de son pourtour l’aire centrale, telle une cathédrale offrant au regard un horizon d’une douce couleur rosée, presque transparente : un calme parfait. Nous choisirons pour l’entrevue son coin préféré, tout au fond à gauche, tout près d’un des grands vitraux arborant ce qui demeurera l’identité et le symbole privilégié de ce lieu : la marguerite, déclinée ici sur toute sa splendeur.
J’avais préparé quelques questions, intéressée à mieux connaître son parcours, ses responsabilités, un peu de l’histoire de la bibliothèque de Memphrémagog et ce qui avait motivé son déménagement et le choix de ce lieu, l’ancienne église Sainte-Marguerite. Je n’ai pas eu à orienter la rencontre; il a suffi de me laisser porter, happée par un récit absolument captivant. Ainsi en est-il parfois de la rencontre avec une personne passionnée, ouverte, attentive et généreuse, entièrement dédiée à la cause qu’elle a choisie et chérie tout au long de sa carrière.
Diane Boulé a grandi à Lac-Mégantic, dans la magnifique région du Granit. Dès l’enfance, au contact de ses parents, elle se passionne pour la lecture et, l’âge de faire les premiers choix professionnels venu, elle opte pour l’écriture et le journalisme et s’inscrit à l’Université Laval en sciences sociales et politiques. Curieuse et avide d’apprendre, elle découvre assez rapidement qu’elle préfère de loin devenir généraliste, plutôt que spécialiste. Son esprit est ouvert et son âme toujours aussi curieuse. C’est à l’Université Laval qu’elle aura un premier contact avec la profession multidimensionnelle de bibliothécaire, inspirée de l’approche ouverte, accessible et démocratique du responsable de la section des sciences sociales. Elle est conquise.
Après un séjour au service de l’information de Radio-Canada, elle décroche quelque temps plus tard un poste permanent à la bibliothèque de Pierrefonds/Dollard-des-Ormeaux. Elle y travaillera cinq ans, à la section jeunesse. Ce genre littéraire deviendra pour elle un véritable coup de cœur. Elle travaillera ensuite à la tête d’un réseau de six bibliothèques à Mirabel, petites municipalités ayant fusionné suite à l’expropriation des terres. Rapidement, elle convainc les élus de l’urgence de déménager deux succursales, l’endroit étant insalubre ou trop exigu. Elle réussit également à faire accepter l’augmentation des heures d’ouverture, profondément persuadée qu’une bibliothèque doit être accessible au public et faire découvrir, comme elle le dit si bien, « les trésors qui y sont endormis. »
C’est alors qu’elle reçoit un appel provenant de sa terre d’origine. La bibliothèque de Lac-Mégantic lui offre un emploi, qu’elle décline après mûres réflexions. En 1993, elle opte plutôt pour la région de Magog où elle déménage avec ses trois enfants.
On l’engage pour un projet de construction et d’informatisation de la bibliothèque, ancienne corporation, étant depuis peu sous l’égide de la municipalité. Elle relève le défi.
Dès son arrivée, elle entreprend de remanier la présentation générale du lieu. La bibliothèque, alors située au centre-ville, était sombre et n’ouvrait sur aucune fenêtre. Diane Boulé ravive les murs et les orne d’œuvres, augmente les heures d’ouverture, engage plus de personnel. L’ancienne corporation devient quant à elle « La Fondation de la bibliothèque Memphrémagog ». Elle y monte le premier budget de la bibliothèque pour la ville de Magog et y assure la gestion de 1993 à 2011 sur la rue Merry Nord.
Pendant son mandat, Diane se surprend à rêver d’un tout autre lieu pour sa bibliothèque. Elle imagine une nouvelle construction avec vue sur le magnifique lac Memphrémagog. Elle espère ainsi, pour emprunter ses propres paroles, « démocratiser la beauté ».
Au même moment, la fabrique de la paroisse Sainte-Marguerite, dans le bas de la ville, se dit prête à céder l’église pour un dollar à la municipalité afin d’en faire sa bibliothèque. Des représentations ont été faites au ministère de la Culture, appuyant la demande sur les avantages de recycler des édifices religieux patrimoniaux ainsi que sur les résultats majoritaires d’un sondage auprès de la population magogoise. Le projet est accepté.
Puis, les travaux commencent. À l’extérieur, on refait le mortier entre les briques et les travaux intérieurs débutent. Il faut penser à la ventilation, au chauffage, aux installations électriques et à l’ajout d’une mezzanine. Le premier étage sera réservé à la jeunesse, aux enfants et adolescents, ainsi qu’aux nouveautés. Le second étage, quant à lui, sera réservé à la clientèle adulte. En ce qui a trait aux bureaux administratifs, selon sa ferme conviction, ils seront à l’écart, comme il se doit, mais tout de même près, en soutien au personnel et au grand public.
Inspirée de ses nombreux voyages, le plus souvent ponctués de visites dans les bibliothèques de différentes villes européennes, Diane rêve. Un nouveau concept prend forme.
Elle voit des places assises à plusieurs endroits, pour relaxer, travailler, lire et même partager. Elle a accès à sa propre salle d’animation, à des laboratoires de formation informatique. Elle imagine un accès séparé pour les enfants, un salon de la BD, l’installation de divans pour la lecture entre grands-parents et petits-enfants. Elle désigne déjà une section pour les œuvres québécoises qui s’inscrit dans l’identification « Dire, lire l’Estrie ». Elle imagine une agora pour les animations et des dispositifs ergonomiques pour la consultation et la lecture.
Elle ira chercher le lectorat et fera de ce troisième lieu, après la maison et le travail, un endroit recherché et accessible à tous, où l’on se sent bien, où l’on a le goût de s’asseoir, de lire, de visionner un film, d’assister à un atelier ou à un spectacle, de partager. Un endroit où tous, quels que soient leur âge ou leur formation, leurs intérêts ou leurs habiletés, s’y sentiraient chez eux. Bref, un nouvel espace de vie, qui est maintenant réalité
Diane Boulé prendra sa retraite dans quelques semaines et quittera sa belle bibliothèque d’espace et de lumière. Elle me dit rêver de lire encore et toujours, de suivre diverses formations, tels la zoothérapie et le langage des signes au profit des enfants à besoins particuliers. Elle rêve d’animations et de contes. Elle rêve toujours…. Et c’est si bien ainsi!
Lire également
Un monde en mouvement. L’édition depuis 40 ans au Québec
Le monde de l’édition a beaucoup changé au Québec depuis les quarante dernières années. Le plus grand changement vient des maisons d’édition fondées dans la foulée de la Révolution tranquille ou même avant, comme Boréal, Hurtubise HMH et Leméac, qui se sont en quelque sorte normalisées, passant de petites maisons presque artisanales à un tout […]
La censure littéraire : de l’impunité de l’art comme mesure d’hygiène publique
Cette année, l’Association des auteures et auteurs de l’Estrie célèbre sa quarantième année d’existence, et on me propose de rédiger un court texte sur une trame du « monde littéraire » depuis 1978. Or, ce qui me frappe d’emblée, c’est la persistance de la censure, après « la grande liquidation » durant la Révolution tranquille, et cela d’autant que […]