Cet âge où tout est possible

Je me rappelle l’enseignant qui m’a fait lire Steinbeck, Miller et Snyder. C’était pendant la session d’automne, à la fin du siècle dernier. Entre les émissions de « La fin du monde est à 7 heures » et « Le Dôme » de Jean Leloup, je me suis tapé ces géants de la littérature américaine pendant quinze semaines. Je ne m’en suis jamais remis. Cet enseignant l’ignore, mais ces lectures obligatoires m’ont poussé sur les routes. Elles ont été le moteur de tous mes déplacements, des coupes à blanc du Nord de l’Ontario aux plages du Pacifique, des cordillères des Andes au Nunavik, de Kuujjuaq à Saint-Venant-de-Paquette… pour me ramener dans un cours de littérature. Devant la classe cette fois-ci. Je côtoie des étudiants dont c’est le tour d’avoir 20 ans, l’âge où il est possible, et même souhaitable, d’être heurté par des œuvres et avoir l’impression que la vie ne sera plus tout à fait la même. Cette expérience de lecture, cette qualité, c’est ce que j’essaie de transmettre dans mes cours. J’y arrive peu souvent, il faut l’admettre. Mais parfois, au bout de l’ennui, au détour d’une page, un éveil se fait. Les mots d’un autre ont résonné dans leur esprit, ils se sont reconnus entre les lignes d’un récit qui ne parlaient pourtant pas d’eux. Je reste alors à mon bonheur, que je sais fragile et éphémère. Mais grâce à lui, chaque matin, j’ai hâte de fermer la porte de la classe, d’éteindre tous les écrans, d’effacer le tableau et d’ouvrir un livre. Et le lire avec mes étudiants pour me faire croire que j’ai encore 20 ans.

 

 

 

« Mais parfois, au bout de l’ennui,

au détour d’une page, un éveil se fait.

Les mots d’un autre ont résonné dans leur esprit,

ils se sont reconnus entre les lignes d’un récit

qui ne parlaient pourtant pas d’eux. »

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