Exercice de géopoétique de l’urbanité estrienne, Pommes de route est tout autant un carnet de flânages qu’une manière de nourrir mon travail d’éboueur sauvage. Avec Godin d’un bord du fossé et Plume de l’autre, on pourrait aussi dire que c’est tout simplement la route vers où ma plume lâche gambade pour trouver le beau dans le banal.
Parlons de logement abordable. C’est le sujet de l’été. Ça l’est certainement sur les marches de mon dépanneur. Là où TVA ne viendra jamais faire ses vox pop mais qui reste un lieu de parole nécessaire et utile.
Je ne sais jamais trop comment contribuer positivement à ces jases sporadiques pour que toustes aient un toit et droit à leur part nécessaire de sécurité et de paix d’esprit. J’ai écrit tellement souvent là-d’su qu’on pourrait dire que je roule ma cassette. Reste que je ne trouve pas quoi ajouter à nos discussions de comptoir. Entre-temps, je trouve mon réconfort dans le silence complice d’un 6 pack de cornets et d’un 2 litres de Coaticook. Chacun ses méthodes pour éviter de dire n’importe quoi.
Petite dure en main, alors, j’arpente mon quartier et cherche l’inspiration dans le paysage.
Je trouve, dans le rythme des bâtiments qui longent les rues, une réflexion qui fondera sûrement aussi vite qu’elle s’est érigée mais qui me fait aller l’esprit. Les plus sympathiques et vivants milieux de vie ont-ils vraiment été orchestrés ou ne sont-ils pas plutôt le résultat du gros jam d’idées où tout le monde avait encore la possibilité de se gosser un espace vital? Ce quartier a du bâtard dans l’architecture : bloc à douze logements fait d’un mix atroce de brique et de plastique, avec un quatre logements dans la cour arrière. Tsé ceux avec une galerie plain-pied style western digne des familles qui travaillaient à la Paton. Plus loin, un manoir de 4 étages bâtis avec de l’argent clairement venu du CHUS qui elle est bordée par une vieille victorienne où l’on ne décroche jamais les échafauds. Entre tout ça, une petite maison aux traits rectilignes, presque aquilins. Ma préf’.
C’est cet énergumène architectural qui ravive mon espoir et me donne des idées incendiaires. Aucun doute que cette petite maison enfreint au moins 50% du code du bâtiment d’aujourd’hui. Ça a été fait par le même monde qui ont habité dedans. Aussi croche que sensuel. Aussi romantique qu’un bouquet de fleurs sauvages. C’est le cauchemar des inspections munic[1]ipales. Elle tient à peine, accotée sur 2-3 droits acquis qui la garde là, à jurer face aux impératifs de la densification et de la spéculation.
C’est une mini-maison avant la mode. Une niche à main-d’œuvre. À Hull, on dirait d’elle que c’est une maison-allumette. À Québec, une maison d’artisan où l’on trouverait de quoi lui mettre une plaque. Ici, c’est juste une belle nuisance sans histoire ni valeur historique. Reste que sa nature indocile m’indique, peut-être, comment le monde avant nous a fait face à d’autres crises. Je pense pas que ces personnes aient attendu le salon de la maison écologique ou espéré pour Noël recevoir un changement de zonage. Elles n’ont pas organisé des sessions de cocréation ou nourrit un comité d’implantation pendant trois ans. Cette maison est apparue, par nécessité et débrouillardise. Deux choses qui manquent crûment à notre comité de dép’.
Entre la rangée des cannages et celle des chips, je trouve tout ce qu’il me faut d’oisiveté et de désintérêt mais rien pour organiser le développement de notre chez nous. Reste qu’il faudrait bien, pour se sortir du marasme, créer, en quelque part à côté du frigo à liqueurs, notre bureau de développement où l’on organiserait la reprise de nos habitats. Ou encore, on pourrait faire du pouce sur l’occupation du resto Charlie par l’ADDICQ de Sherbrooke et y créer la Cantine du développement urbain (CANDEUR). N’y-a-t-il pas, en quelque part dans une charte des droits internationaux, une clause à exploiter qui donnerait le droit à toute personne de réclamer, pour sa sécurité et son droit à la vie, une vieille cantine abandonnée ? Tous ces espaces, dont on connaît la destruction inévitable, pourraient être réclamés, en toute légitimité, à notre Cantine, en soumettant un plan sur une nappequine. Tout ça serait marrainé par des stages et des certificats en débrouillardise. On runnerait sur le slogan : « Du travail de qualité fait par du monde pas qualifié. »
Ça mettrait des taches de graisse sur les codes et règlements mais ça coûterait sûrement moins cher que de former des logiciels pour compiler les crosses des agences immobilières dans un registre national que personne ne voudra mettre à jour après quatre ans.
On me trouvera une tonne de raisons pour m’expliquer quelle idée régressive et approximative j’ai eu. On me listera les répercussions infiniment négatives. Écoute, moi-même je trouve que le solage n’est pas fait fort. Je sais à peine monter ma tente tout seul. Reste que je connais du monde bien plus débrouillard·e que le monde derrière le slogan « Nous vendons Sherbrooke » et je t’assure qu’iels rockent tout autant le tailleur et le costard. Je m’en remets à elleux de nous offrir les solutions pendant que je méditerai sur une nouvelle saveur de Miss Vickies (btw merci Vickie pour tous les bons moments).
Et en honneur de cette chambranle qui persiste et signe, tu trouveras sûrement bientôt, entre les câbles de cellulaire et les gratteux, au dép’ de mon quartier, une pétition pour introniser cette maison au patrimoine de la ville en tant que première Maison de la Nécessité. Ça sera mon geste pro-sourire, pro-espoir, pro-absurde et pro-inutile contre l’embourgeoisement. Je l’accompagnerai d’un poème. Chacun ses méthodes pour justifier son existence.
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