COMMENTAIRE DE LECTURE : DONNEZ DES AILES POUR CRÉER DES PONTS

Danielle Dussault, écrivaine estrienne, construit depuis trente-cinq ans une œuvre foisonnante qui s’articule autour de romans, de nouvelles, decarnets littéraires. Cette année, elle a publié deux titres qui m’ont interpellée. 

Souvent quand je la croise et qu’on partage nos errances d’écriture, elle me parle de ses doutes, elle confie la fatigue de sa quête. Son questionnement nourrit le mien. 

J’ai lu son Donnez des ailes avec grand ravissement, tant elle approfondit son attachement, qu’on pourrait qualifier de « maladif », à l’écriture – et je me reconnais dans ce terme. Elle le fait avec tant d’acuité, son observation du monde constamment en points d’interrogation. Cet appel à l’écriture, elle sait le nommer, le creuser. « J’apprends alors à me laisser traverser par le vent du monde pour écrire. » Elle me sert de grandes leçons d’écriture. 

J’ai pris du temps à ouvrir ses Ponts, habituellement peu attirée par la nouvelle littéraire. Ce que j’ai commencé avec le devoir qu’on doit à une amie s’est petit à petit transformé en curiosité, puis en admiration. Que de souffle commande la nouvelle! Je n’en avais pas pris conscience auparavant. Le regard posé sur le monde se doit d’être multiple, l’auteure inventive, pour que des bribes éparses, des percées de l’imaginaire, prennent forme dans un projet qui les englobe tous. Encore ici on y reconnaît sa quête de sens, comme une valse-hésitation entre le plongeon dans les découvertes et la réclusion pour créer. « Je n’ai pas écrit mais quelqu’un m’a parlé aujourd’hui. »

La femme matérielle m’a beaucoup plu. Elle décrit avec acuité le tiraillement d’une rencontre qui ne mène nulle part, l’obligation de bavardage devant l’autre, empreint de sa personne. J’ai souri de la réaction de la femme qui se maquille pour être moins transparente… À travers toutes les nouvelles, et son carnet, perce un appel à la reconnaissance en même temps que l’apaisement que procure l’anonymat. Ce thème de la transparence revient dans ses deux livres, et me rejoint.

Ponts de PragueJ’ai beaucoup aimé la chute de la nouvelle Le serveur russe. Et plein de phrases percutantes qui révèlent sa perception aiguisée et critique du monde. Jamais elle ne perd de vue l’étrangeté de la nature humaine et sa présence incongrue dans l’univers. « Le sang de l’humanité circule dans ton corps; un espace qui obéit au désir de quelqu’un que tu ne peux habiter complètement. »

Son écriture est riche, fluide, profonde. Pas de doute, on est en littérature ici! Une littérature exigeante pour lecteurs-lectrices exigeant.es… qui s’avèrent hélas moins nombreux qu’on l’espérerait en cette période d’instantanéités traduites par des voix rauques. Où trouverons-nous notre place?

Comment se fait-il que cette auteure ne soit pas davantage reconnue? Dans Donnez des ailes, elle esquisse une réponse à propos de l’anonymat, qui pourrait représenter un refuge, mais j’en doute. J’aurais pu écrire cette page 92, (sans doute moins bien qu’elle) : « Je squatte les repères immémoriaux, j’habite une caverne aux contours indéterminés. » Sous ces esquives, je perçois un appel à la lumière, à la reconnaissance. 

Les mots comme un pont vers les autres.

J’espère que Danielle Dussault persistera dans sa quête pour « faire entendre une voix anonyme qui se rapprocherait des autres ». Il y a quelque part des lecteurs-lectrices à qui elle donne des ailes, comme à moi, pour poursuivre une quête de sens, dans des sphères exigeantes, j’en conviens, la quête troublante de notre présence au monde.

 

Lise Blouin a publié six romans dont L’or des fous. Elle anime depuis cinq ans des ateliers de création littéraire à l’AAAE.

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