DES PIERRES SUR MON CHEMIN

Vendredi, 14 juin, 22h20. Je suis là, avec lui. C’est la fin.

Trois mois déjà que Michel est parti. Nous avons loué un chalet à Ste-Luce-sur-Mer. Nous, c’est mon amie d’enfance et moi. Pendant ces quelques jours, elle me tiendra par la main, prendra soin de moi, attentive à mes moindres désirs. Après le souper, elle m’invite à terminer ce verre de vin, à m’asseoir dans le fauteuil douillet. Mine de rien, elle m’amène à parler de Michel. Je lui raconte la fois où, devant le regard admiratif des enfants, il avait dansé dans un restaurant bavarois à Disney alors qu’il détestait se donner en spectacle. Je lui dis combien je suis heureuse qu’il ait pu voir Leonard Cohen, son idole depuis toujours, juste avant sa terrible maladie. Je me confie, je m’étourdis, je m’engourdis.

Le matin et l’après-midi, nous marchons tranquillement sur la grève. J’entends le fracas des vagues, je reconnais l’odeur du fleuve. Je regarde le paysage sans vraiment le voir; je suis encore en état de choc. Malgré le brusque refroidissement de cette fin d’été, nous allons pieds nus sur le sable mouillé. Et c’est lors de notre dernière promenade que je la trouve.  J’ai su à l’instant que cette pierre en forme de cœur, douce et lisse, m’attendait pour me consoler. Pendant des mois, je m’endormirai avec elle collée sur mon cœur.

 

Quinze mois, c’est long et c’est court. Je suis en Italie, en voyage organisé. L’Italie, j’y suis déjà venue avec Michel. J’ai accepté d’accompagner une amie qui rêvait de voir le pays de ses ancêtres. Pour moi, il s’agira d’un pèlerinage. Je reverrai les endroits merveilleux visités avec mon amoureux : Florence, Rome, Assise et Venise, surtout, qui m’a éblouie par sa beauté, son charme, ses couleurs. Je ferai d’agréables découvertes au cours de ce voyage. La côte amalfitaine, le plaisir d’être en groupe, de rire ensemble, de se moquer gentiment des uns et des autres, le sentiment de pouvoir laisser ma peine se reposer. Enfin, il y aura ce merveilleux cadeau sur le bord de la Méditerranée. Une journée chaude, enveloppante. Mes pieds foulent des centaines de cailloux sur la plage, et l’un d’eux, en forme de cœur, me fait de l’œil. Je souris, je me sens légère. Ce tout petit cœur de pierre me dit que l’amour est toujours là entre Michel et moi, que je ne dois jamais l’oublier.

Vingt-quatre mois dans quelques jours. Cet après-midi, je suis allée au cinéma avec mon petit-fils de 5 ans. À la fin du film, le héros meurt pour permettre à ses amis de survivre. Je n’arrive pas à cacher mes larmes. Samuel semble étonné :

– Pourquoi tu pleures, grand-maman?
– Je m’ennuie de grand-papa étoile.
Il réfléchit quelques secondes :
– Moi, je veux jamais être une étoile, je veux jamais que papa, maman, Julianne et toi soyez des étoiles.

Comme je le comprends! En ce moment, je n’ai qu’une envie : rester les deux pieds sur terre avec ma famille et mes amis, à savourer ma vie. Demain, sur le chemin de gravier qui longe la maison, Samuel et moi serons à la recherche de pépites d’or pour enrichir sa collection de cailloux. Étrangement, Sam trouvera une roche en forme de cœur. Je lui dirai combien je la trouve belle. Aussitôt, il m’offrira la pierre en disant : « Je t’aime, grand-maman. »

C’est ma fête aujourd’hui. Cette nuit, j’ai rêvé à Michel. Il m’est apparu rajeuni, les yeux brillants et pleins d’amour. Il s’est approché de moi et m’a prise dans ses bras. Il a murmuré : « Je suis là, je suis là. »

 

Diane est l’auteure de trois livres jeunesse. Depuis son arrivée dans la région en 2007, elle ne se lasse pas de la beauté des paysages. Lecture, voyages et sorties en plein air font partie de ses loisirs favoris.

 

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