La plume, l’encre et le buvard

J’étais en deuxième année. Nous avions sur nos pupitres un trou pour y glisser notre encrier. L’encre était bleue. Tout à côté, il y avait une ouverture pour y déposer notre plumier et notre plume. À ces objets, s’ajoutait le buvard.

À la maison, sur le bureau familial, il y avait également une bouteille d’encre turquoise et une autre de rouge écarlate. Rouge et turquoise. Quel plaisir d’aller d’un récipient à un autre, en ayant pris bien soin de nettoyer la plume, avant de la plonger de nouveau pour tracer des lettres, des volutes, des formes, des spirales, des mots et de courtes phrases ! Surtout, ce que j’aimais le plus, c’était de regarder l’encre dégouliner sur la feuille. Avec le buvard, j’épongeais le tout et je regardais fébrilement ce qui y apparaissait. J’étais littéralement fascinée, sinon envoûtée, par ce transfert d’images. Quant aux taches, je les transformais en personnages ludiques.

J’ai vidé plus d’un flacon d’encre, épuisé de nombreux buvards et rempli d’innombrables feuilles de mots, de Il était une fois, d’extraits de chansons, de comptines, d’historiettes, le tout agrémenté de dessins. Cette période marque le début de mon intérêt devenu indéfectible pour l’écriture, la peinture et la gravure. À l’époque, j’avais bien des crayons de couleur pour dessiner, mais la mine cassait souvent et à force de les aiguiser, ils rapetissaient tant qu’il était difficile de les utiliser.

La découverte de l’encre fut un moment charnière de mes sept ans : plonger la plume, répandre l’encre sur le papier brouillon que mon père me rapportait du bureau a occupé de nombreuses heures de mon enfance. Je me vois, installée sagement, les rayons du soleil entrant par la fenêtre du passage, éclairant les feuilles sur lesquelles je gribouillais, dans le silence du jour. Dans cet univers de papier et d’encre, de nombreuses images ont surgi : des paysages, des enfants et quelques objets tels un ballon. Dans mes souvenirs, lorsque j’étais attablée, il faisait toujours beau.

C’est depuis cette douce époque de mon enfance dorée que papier, encre et buvard se sont imposés durablement dans mon imaginaire.

Détentrice d’un doctorat en didactique du français, auteure de plusieurs essais, gagnante de nombreux prix, Mme Suzanne Pouliot a longtemps enseigné la littérature jeunesse. Son engagement dans ce domaine l’a amenée en 2013 à créer avec Antoine Sirois, un prix réservé aux écrivains et écrivaines pour la jeunesse.

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