LE SUCCÈS, UNE VRAIE NOTION ?

Je suis une auteure émergente. « Émerger », au sens littéral, me donne cette image de me sortir la tête de l’eau. J’émerge après trop de temps passé à ne pas croire que la littérature pouvait devenir sérieuse dans ma vie. Au sens figuré, cela signifie que j’en suis à mes premiers balbutiements dans le milieu littéraire, à mes premières publications dans des revues, à mes premiers envois à des maisons d’édition, à mes premiers (mais malheureusement nombreux) refus. J’émerge et il m’arrive parfois de replonger. Garder la tête hors de l’eau n’est pas chose facile.

Le milieu littéraire n’est pas un milieu dans lequel on pénètre et on trouve sa place en criant ciseau. Qu’est-ce que le succès pour une personne comme moi qui n’a encore jamais publié dans une maison d’édition reconnue ? Je vais répondre à la question qui m’est posée en universitaire que je suis. Je répondrai ainsi parce que mon parcours influence nécessairement ma vision de la littérature. Cela dit, toutes les réponses sont bonnes. Toutes les visions du succès sont bonnes.

D’abord, je me permettrais de demander : le succès, est-ce une vraie notion ? Je regarde la définition du Larousse et elle me parle d’une œuvre « qui rencontre la faveur du public ». Or, le succès me semble varier grandement selon les points de vue. J’écris aujourd’hui sur le sujet sans toutefois avoir une idée claire de ce dont je parle.

En jeune auteure que je suis, je pourrais croire qu’être acceptée par une maison d’édition reconnue est un succès. Vrai. C’est évidemment une petite victoire. Cependant, cela va plus loin. Combien de livres sont publiés par de bonnes maisons d’édition et tombent pourtant dans l’oubli ?

Si un jour un de mes livres a du succès, ce sera par exemple parce que des critiques crédibles du milieu littéraire en parleront. On m’invitera à en discuter à des émissions de radio ayant une certaine renommée. Il apparaîtra dans divers palmarès. Il sera peut-être en lice à différents prix littéraires. Des acteurs importants du milieu pointeront mon livre et diront : ceci est puissant, ceci a de la valeur, ceci « mérite » d’être lu — certains acteurs ont ce pouvoir de déterminer ce qui a de la « valeur », bien que tout écrit mérite à mon sens de rencontrer son public. Il se vendra peut-être bien en librairie parce que les personnes qui aiment les livres puissants en auront entendu parler par des critiques, par des pairs. La vérité, c’est que j’écris pour les personnes qui s’intéressent à la beauté des mots. Et si je rejoins ces personnes-là, alors j’aurai du succès. C’est un intérêt particulier que de s’intéresser aux mots, parfois davantage qu’à l’histoire en soi. Certaines personnes s’intéressent aux notes de musique, d’autres aux mots.

Ainsi, je suis encore bien loin du succès. Je ne prétends pas que je l’atteindrai. Je ne l’espère pas nécessairement. Je ne crois pas qu’il faille avoir ce genre d’attentes. Et puis, la possibilité d’un succès est trop loin de moi, actuellement. La première étape est pour moi de publier. Cela serait déjà une grande étape pour l’écrivaine que je tente de devenir à coups de pages blanches, de phrases maladroites, de petites et de grandes inspirations, de nombreuses heures passées devant le clavier.

Est-ce que j’aimerais avoir du succès, tel que je le conçois ? Qui n’aimerait pas atteindre le succès qui correspond à la vision qu’il ou elle en a ? Mais j’écris avant tout pour faire vivre des personnages, des histoires, pour jouer avec les mots, trouver la combinaison la plus forte pour transmettre le mieux possible une sensation, une douleur qui m’habite, pour régler leur compte à des parties de moi qui ont besoin d’être creusées, étudiées, retournées sous toutes leurs coutures. Écrire pour le succès, c’est comme acheter des billets de loterie : rien ne nous promet qu’on gagnera le gros lot. Cette comparaison pourtant me fait m’interroger. Le succès, une histoire de chance, vraiment ? J’aime croire que non, pas seulement.

 

Mélanie Boilard est coordonnatrice de l’Association des auteures et auteurs de l’Estrie et a terminé en décembre 2018 sa maîtrise en création littéraire à l’Université de Sherbrooke. Son mémoire porte sur la problématique de la bonne distance dans la relation mère-fille. Elle est autrice, conseillère littéraire et réviseure. Quelques revues, dont  Cavale,  Le Crachoir de Flaubert,  Nyx,  Saturne  et  Virages, ont hébergé certains de ses textes.

Crédit photo : Rose-Marie Bouthat

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