Pays d’eau, de lumière et de papier

Depuis quelques années, je lis et relis les auteurs classiques. Récemment, j’ai lu Pierre et Jean de Guy de Maupassant. Il y a longtemps, j’avais lu et aimé ses contes Le Horla et La Parure. Ces lectures m’ont propulsée par la suite dans l’univers de l’écrivain austro-hongrois de langue allemande et de religion juive, Franz Kafka, qui m’a tellement subjuguée que je devais absolument voir de mes yeux l’endroit où l’auteur avait vécu. Après un bref arrêt à Bratislava en Slovaquie, ma visite dans le vieux Prague m’a foudroyée. Je me vois marchant fébrilement sur le pont Charles bordé de statues, sachant que le cimetière était situé à proximité. Sur place, j’ai renoué mentalement avec les intrigues des romans Le procès et La Métamorphose. J’ai alors compris que l’œuvre n’avait pu naître que de cette terre coincée entre l’Autriche, et la Hongrie. Lors d’un séjour plus récent en Bohême, l’œuvre de Kafka a ressurgi de nouveau.

À Copenhague, devant la statue d’Andersen, je me suis remémoré les merveilleux contes qui ont charmé mon enfance, dont Le Vilain Petit canard et La Petite Fille aux allumettes. À Elseneur, je me suis longuement arrêtée devant le château de Kronborg qui a inspiré l’une des célèbres réparties shakespeariennes dites dans Hamlet : « Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark ». En Angleterre, j’ai visité la terre natale du célèbre dramaturge, Stratford-upon-Avon. En me baladant dans la ville, je l’ai imaginé écrire ses pièces de théâtre à l’ombre des maisons à colombages, sous des cieux striés de nuages et de pluie, tout en sachant qu’il fit sa carrière d’acteur et d’auteur à Londres.

Si j’ai visité plusieurs villes, je n’ai pourtant pas été attirée par celle où vécut Maupassant. Son récit Pierre et Jean m’a ennuyée. J’ai trouvé le narrateur misogyne, acerbe, amer, malgré les descriptions des nombreuses promenades en bordure de mer, effectuées par Pierre, notamment, et le piaillement des oiseaux qui l’accompagnait lors de ses dérives nocturnes. L’image que j’avais conservée de cet auteur s’est soudainement volatilisée. Ainsi vont les lectures. Certaines enrichissent les anciennes, d’autres les éloignent et les enterrent.

Dans tous les cas, mes lectures, depuis ma plus tendre enfance, ont nourri mes rêves d’évasion, à une époque où voyager relevait d’une impossibilité. Lors de ma première visite à Paris, je suis allée immédiatement au parc du Luxembourg. J’avais besoin de voir où s’amusait Sophie, protagoniste des Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur, roman que j’avais lu à huit ans, pendant les vacances de Noël. En m’y promenant, je l’imaginais lancer son voilier jouet dans le bassin, courir après son cerf-volant, manger son pain bis et boire son lait caillé. Le jour où j’y étais, j’ai vu d’autres Sophie courir, rire, s’amuser. Quelques années plus tard, je me suis rendue à Guernesey où vécut Victor Hugo, lors de son exil de 1855 à 1870. C’est là qu’il écrivit ses œuvres les plus célèbres dont Les Misérables (1862). En visitant sa maison, je l’ai imaginé debout devant son lutrin, un café à la main, une plume dans l’autre.

Ainsi mes visites pèlerinages dans le pays ou la ville de l’auteur qui me tenait à cœur, m’ont rendu les œuvres lues plus tangibles, plus familières, plus intimes. Ce fut ma façon de rendre hommage à ceux et celles qui m’avaient procuré de grands moments de plaisir, sinon de bonheur et parfois de tristesse. À certains endroits visités, je reconnaissais non seulement la lumière des lieux, mais aussi certains bruits qui m’étaient devenus presque familiers. À Amsterdam, j’ai visité l’antre d’Anne Frank et de longs passages de son journal lus à plus d’une reprise ont surgi, dans la violence et l’inconfort des lieux de confinement. À deux reprises, à La Havane, j’ai visité l’hôtel Ambos Mundos, où Ernest Hemingway a vécu, au cinquième étage, dans la chambre 511. J’ai siroté mon daiquiri, en relisant des passages du roman Le vieil homme et la mer.

Diverses lectures effectuées en divers lieux ont jalonné ma vie et comme des pierres blanches l’ont marquée de leur souffle créateur, de leurs rires et de leur poésie.

À un an, Suzanne Pouliot est photographiée plongée dans un livre. Depuis, les livres l’accompagnent. Pour rendre hommage à ceux et celles qui écrivent pour les jeunes, elle a créé, avec Antoine Sirois, un prix qui est décerné aux deux ans, lors du sle.

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