Portrait d’auteur : Louis Hamelin, l’écrivain encabané, propos recueillis par Marie Robert

Né à Grand-Mère en 1959, Louis Hamelin a remporté le Prix du Gouverneur général pour son premier roman, La Rage, en 1989. Il a ensuite fait paraître un recueil de nouvelles et de nombreux romans, dont La Constellation du Lynx (Boréal, 2010), qui a reçu le Prix des libraires du Québec et le Prix littéraire des collégiens. En 2020, il publie son neuvième roman, Les Crépuscules de la Yellowstone, et lance une collection de nature writing au Boréal, « L’œil américain », dont il traduit l’un des titres, Les Étés de l’ourse. Il est également chroniqueur au quotidien Le Devoir. Son dernier roman, Un lac le matin, est paru à l’automne 2023.

Ainsi peut-on lire la biographie de Louis Hamelin sur le site de Boréal, maison d’édition complice qui l’accueille depuis plusieurs années déjà au fil de ses dernières publications. Mais, faire la rencontre de l’écrivain Louis Hamelin dans le cadre de la coanimation d’ateliers d’écriture au Salon du livre de l’Estrie ou mieux, lors d’un lancement à la librairie Appalaches sur Wellington en compagnie de Richard Séguin, tous deux épris de l’œuvre du poète Thoreau ou mieux encore, lors d’une rencontre dans un café sherbrookois dont il a accepté spontanément et généreusement l’invitation, cela tient du privilège. C’est donc dans ce dernier contexte qu’eut lieu cette inoubliable rencontre, un de ces moments où le temps s’arrête littéralement, dont voici l’essentiel de la conversation partagée.

***

Bonjour Louis et surtout, merci d’avoir accepté notre invitation à cette entrevue qui se voudra toute simple, conviviale et interactive. Comme je te l’expliquais au moment où nous avons communiqué avec toi, l’Association des auteures et auteurs de l’Estrie est à préparer la seconde édition de revue L’Alinéa entièrement revisitée depuis l’automne dernier. En effet, le format et le visuel sont nouveaux, et l’appel de textes et les chroniques s’articulent dorénavant, à chaque édition, autour d’un thème. Et pour ouvrir cette deuxième publication, la thématique retenue par le Comité éditorial est : « L’étrange raison derrière son choix de fuir le monde».

C’est à la lumière de ce thème que nous avons pensé à toi, car il nous semble que ta toute nouvelle parution emprunte peut-être un chemin littéraire que tu privilégies, un environnement d’écriture que tu as souvent emprunté toi-même ou que tu as prêté à tes personnages ou qui est le choix de tes personnages. Mais, prenons le temps tout d’abord de mieux te connaître.

Toi et moi, nous nous connaissons, un peu. Nous nous sommes côtoyés dans le cadre de diverses organisations ou activités littéraires estriennes ces dernières années. Je pense ici entre autres à l’Association des auteurs et auteurs de l’Estrie ou encore aux Correspondances d’Eastman, au Salon du livre de l’Estrie et à la première édition en septembre dernier du Rendez-vous du roman historique de Magog.

Mais, pour quiconque n’aurait pas encore la joie de te connaître, de t’avoir croisé ou de t’avoir lu, qui est Louis Hamelin ?

Je suis un romancier québécois. J’aime à dire que ma profession est d’être écrivain professionnel et je suis très fier de l’être. Il s’agit d’un réel statut reconnu, et c’est important !

J’écris des romans, des essais et des chroniques et j’avoue que j’aime bien m’amuser en écrivant. J’écris maintenant à l’ordinateur, bien sûr, mais pendant longtemps, il y a vingt ans particulièrement, j’utilisais des cahiers, des feuilles lignées, puis une machine à écrire électrique et un Mac Plus. C’est d’ailleurs sur ce dernier qu’est né mon premier roman, La Rage, en 1987.

Abordons tout d’abord Louis, l’écologiste, l’environne[1]mentaliste. Qu’est-ce qui a motivé la jeune adulte que tu étais à choisir l’écologie comme passion professionnelle ?

J’ai passé mon enfance en Gaspésie. Puis, j’ai déménagé avec toute ma famille à Montréal. Par la suite, mon père a fait l’achat de deux chalets — de vrais chalets — , un en Mauricie et un autre dans le nord, à Saint-Colomban dans les Basses[1]Laurentides. Je faisais alors de longues randonnées à vélo en forêt, sur mon CCM poignées Mustang.

Plus tard, j’ai complété des études d’écologie au Collège McDonald à McGill.

Pour moi, la nature est une école permanente. Je ne suis pas seulement un poète contemplatif. J’ai 31 un grand intérêt pour les sciences et je suis un amoureux passionné de nature. J’ai aussi, bien sûr, un grand intérêt pour la langue française et l’histoire.

Puis, tu fus séduit par la littérature et l’écriture, com[1]plétant une maîtrise en études littéraires en 1990, de[1]venant romancier, critique littéraire, chroniqueur au quotidien Le Devoir et récipiendaire, à ce jour, de plus de huit prix littéraires prestigieux. Comment glisse-t-on doucement de l’écologie à la littérature ou comment ju[1]melle-t-on ces deux passions ?

J’ai toujours marié ces deux passions : la littérature et la forêt. L’appel des lieux en nature m’a suivi toute ma vie. J’ai besoin davantage d’oxygène que d’être seul. Il m’est même arrivé un jour, sur le bord d’un lac, de connecter avec un huard, de communiquer avec lui, de « parler huard ».

Ton entrée dans l’univers littéraire se passa en grande pompe avec la publication de La Rage chez Québec Amérique en 1989 qui t’a valu le prix du Gouverneur général pour ce tout premier roman.

On peut même lire que : « Tu as surgi comme une météorite dans le firmament littéraire québécois  », te comparant à Marie-Claire Blais, à Hubert Aquin et même à Réjean Ducharme. Que s’est-il donc passé ? À ton avis et selon ta perception, qu’est-ce qui a séduit le lectorat et qui le séduit toujours, tant des critiques que des spécialistes et du grand public ?

Je dirais que c’est sans doute pour mon rapport à la langue, mon approche ludique et ironique, comme d’écrire des mots inversés. Je m’amuse en écrivant. C’est sans doute aussi pour mon regard, le mien, sur le monde.

J’aime raconter ce que je pense, je ne crains pas de me mettre en scène. J’écris parfois en « je », d’autres fois en « il », parfois les deux dans le même roman. C’est le cas, entre autres, dans La Rage. Quand je relis La Rage, je trouve que je me suis pas mal éclaté; j’avais 30 ans. Ce n’est pas le cas avec La constellation du lynx avec laquelle je suis toujours en accord.

La chronique, quant à elle, est un versant de mon œuvre littéraire, prenant le sport comme base d’écriture. Puis ont suivi :

  • Ces spectres agités (1991), une parodie du roman gothique
    • Cowboy (1992), une amitié entre un jeune blanc et un Atikamehw.
    • Betsi Larousse ou l’ineffable eccéité de la loutre (1994), sur les aléas de la célébrité
    • Le soleil des gouffres (1996), l’espace continental américain
    • Le joueur de flûte (2001), l’opposition d’un groupe d’écologistes et d’autochtones
    • Sauvages (2006), un premier recueil de nouvelles
    • L’humain isolé (2006), un essai sur l’écriture
    • La constellation du lynx (2010) considérée comme ton œuvre maîtresse
    • Fabrications (2014), un essai sur la fiction et l’histoire
    • Autour d’Éva (2016), une exploration de l’histoire du Québec
    • Les crépuscules de la Yellowstone (2020), un thème d’américanité
    • Un lac le matin (2023), 2e d’une trilogie sur David Thoreau
    • et un 3e à venir consacré à Grey Owl.

On a beaucoup écrit sur les grands thèmes qui unissent chacun de tes ouvrages. Je pense ici à l’amour de la langue française, au rapport à la nature, à la critique sociale, à l’américanité québécoise.

Et toi, qu’identifies-tu comme «  fil rouge  » qui unit chacun de tes écrits et ton élan créatif ?

Je dirais que le fil rouge de mon œuvre est le territoire, l’Amérique. Je vis un grand continent que mes ancêtres ont exploré. Je m’intéresse à la langue selon les territoires.

Chez les Innus, la langue des nomades est différente de celles et ceux qui vivent dans les réserves. En 2024, je cultive une langue du Québec, j’approfondis la « québécitude », le territoire.

Je suis un écrivain américain de langue française.

En entrée de jeu, je reprécisais le fait que le Comité éditorial de la revue L’Alinéa de l’AAAE t’avait identifié comme un de nos auteurs pour lequel le thème du prochain numéro ferait sans doute écho, soit : « L’étrange raison derrière son choix de fuir le monde »

À notre invitation, tu as semblé tout de suite rejoint par cette proposition. En quoi « fuir le monde » allume-t-il une petite ou même une grande lumière en toi ?

Nous sommes chanceux d’avoir de grands espaces au Québec, avec des échappatoires pour se retrouver, se « déconnecter » (technologie) pour se reconnecter. C’est maintenant une posture révolutionnaire que de se débrancher, de retrouver comme Thoreau les faits essentiels : boire, manger, un toit.

Se débrancher trois jours, c’est une cure ! Ça prendra de jeunes rebelles (comme les hippies des années 60) pour rompre avec le conformisme technologique et « l’hypertechnologination ». On ne le saura pas, ils seront cachés en nature.

Cela me rappelle un ouvrage de William Boyd dans lequel le personnage jette toutes ses cartes d’identité, se sauve en forêt et devient vierge de toute identité. Il s’agit d’un ancien révolutionnaire et sa conjointe veut le retrouver. On pense qu’il a été tué. Il est simplement en forêt, disparu des regards.

Ton œuvre et ta présence se retrouvent maintenant outre-frontière et cela est tout à ton honneur. Qu’en est[1]il du rôle de « passeur culturel » qu’on t’attribue, tout à fait à juste titre quant à moi. À ton point de vue, que veut dire exactement cet attribut et comment cela se traduit[1]il concrètement en ce XXIe siècle au Québec ?

Être passeur culturel, c’est signaler les œuvres qui valent la peine. Par mes chroniques, j’aime parler des auteurs que j’apprécie, en parler à mes enfants et en parler à mes lecteurs. La langue, le français américain du Québec.

Garder la langue vivante, pas juste à l’oral, mais cultivée par l’écriture. La transformer, la faire évoluer.

Je ne saurais clore cette agréable entrevue sans te demander de réserver un petit mot sur Les héritiers de Don Quichotte (à paraître chez Boréal très bientôt).

La parution est prévue pour octobre 2024. Ce sera un essai, des chroniques depuis 1999 parues dans Le Devoir. Sur le roman aussi, ma forme littéraire de prédilection et ce, à partir d’une série de quatre textes parus dans la revue Spirale et de textes de critique rédigés pour Le Devoir sur quelques chefs[1]d’œuvre de mon panthéon personnel. Un traité sur l’art romanesque et certains autres textes sur le roman.

Le roman, quant à moi, est la forme de la plus haute liberté. Je crois au rôle de l’imagination, même en politique. La fiction n’est pas un frein à l’imagination. Un roman raconte aussi la vie réelle.

Nous te remercions sincèrement, cher Louis, du temps que tu nous as réservé aujourd’hui dans le cadre de cette entrevue et de tout le plaisir que tu offriras ainsi à nos lecteurs et lectrices. Bon été et à très bientôt !

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