À Lise Blouin, qui se demande si, en quelque sorte, son écriture ne serait pas périmée, « meilleure avant », je réponds que je suis contente qu’elle m’interpelle par le biais d’un Ricochet. Cela me donne l’occasion de révéler, publiquement, toute l’admiration et tout le respect que j’ai pour elle et pour sa démarche d’écrivaine.
Je me rappelle avoir déjà dit à Lise que ma propre écriture était devenue ringarde. Je suis presque certaine qu’Hôtel des brumes, pourtant salué par la critique et primé en son temps, trouverait difficilement preneur (ou preneuse) aujourd’hui. Mon âge n’a rien à y voir. Ou si peu.
Disons plutôt qu’il y a des voix et des sujets à la mode. C’est le cas au théâtre, avec des pièces trash, comme King Dave, ou d’autres que je qualifierais d’historico-didactiques, comme Chapitres de la chute, Saga des Lehman brothers ou J’aime Hydro. Cela n’enlève rien à ces œuvres, mais…
Il y a des styles à la mode. On le voit du côté de la danse contemporaine devenue acrobatique, voire spasmodique. Et il y a des valeurs ou des contre-valeurs à la mode. L’amour, par exemple, semble complètement dépassé. Dans les arts, on le transforme souvent en une sorte de pulsion aussi sauvage qu’éphémère. Surtout ne pas montrer sa vulnérabilité. Ni sa tristesse. Au monde qui se délite, il faut faire face avec rage et détermination. Ou nihilisme.
Et si on choisit la bonne posture, idéologiquement parlant, c’est encore mieux. Personne n’ignore qu’on tend à éviter certains sujets (je songe au viol, à l’inceste, par exemple). Des éditeurs sont devenus frileux, et pour cause : on en traîne dans les salles de cour pour avoir fait leur travail, soit publier de la fiction. On paraît subitement accorder beaucoup de pouvoir à cette dernière. Comme si le fait de lire des histoires violentes nous rendait fatalement violents. Or, que je sache, Gengis Kahn n’était pas un lecteur de romans ni n’allait voir de films de superhéros, pas plus que les humains n’ont attendu l’invention de l’imprimerie pour s’entretuer. Selon moi, nos problèmes sociaux — bien réels — se situent ailleurs.
Dans la vraie vie. Et pas dans la fiction.
Quant à savoir s’il y a une crise dans le milieu de l’édition, je dirais que non. Certes, au Québec, la donne est en train de changer. Des éditeurs ferment boutique ; d’autres se lancent, tête baissée, dans l’aventure. Tout cela, je crois, demeure dans l’ordre des choses. Autre ingrédient à mettre dans la mijoteuse : les organismes subventionnaires, dont la très grande majorité des maisons d’édition québécoises dépendent de la générosité, exigent de la nouveauté… et de nouvelles voix. Ces voix ne sont toutefois pas forcément celles de jeunes personnes… Bref, on carbure à la nouveauté, et ce, dans tous les domaines. Je ne trouve même plus le fond de teint que j’aimais tant. Il n’aura été que deux ans sur les rayons avant qu’on en change la formule et l’emballage…
Enfin, et on ne va pas se le cacher : tous les éditeurs sont à la recherche de… lecteurs et de lectrices. Nous composons, dans notre petit coin d’Amérique francophone, avec un déséquilibre évident : le bassin d’auteurs et d’auteures dépasse, en proportion, et de loin, celui des lecteurs et lectrices. Trop de livres ont été pilonnés. Trop de fonds publics, gaspillés. Du coup, on devient économe : moins de publications par année, et des tirages réduits.
Je ne parle même pas de la promotion. Être agent de presse s’avère désormais un parcours du combattant, les tribunes littéraires ayant fondu comme neige au soleil. Désormais, on cherche le spectacle, le « scandale amusant », comme l’aurait dit Claude Gauvreau. Rien d’étonnant, alors, à ce que l’autofiction ait la cote. On ne veut plus entendre parler des livres, on veut plutôt connaître la vie intime des auteurs et, surtout, des auteures. Nelly Arcan a payé le prix fort pour que ses œuvres aient le retentissement qu’elles ont eu…
Est-ce que la solution réside dans l’autoédition ? Certains choisissent d’aller de ce côté. Pour ma part, je ne le ferais pas. Je préfère qu’un éditeur ou une éditrice coure le risque financier à ma place. De même, je ne saurais me passer du regard d’un directeur ou d’une directrice littéraire digne de ce nom.
J’ai des manuscrits dans un tiroir. Il est possible que je parvienne à les publier un jour. Il est tout aussi possible qu’ils restent bien enfouis dans mes archives ou que je les détruise moi-même à la faveur d’un déménagement. Je vis avec cela et je l’accepte. Cela ne va pas m’empêcher d’écrire si j’en ai encore envie.
Mais j’aimerais bien avoir l’avis d’une jeune éditrice comme Anne Brigitte Renaud sur la pertinence de publier des livres en ces temps d’abondance et de rareté…
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