Le balado d’l’AAAE – Délier la langue, de Mireille Elchacar

Les discours ambiants sur la langue reproduisent des idées reçues qui circulent depuis des décennies. Au-delà des impressions, est-il vrai que les anglicismes abondent toujours autant en français québécois? Les mesures prises depuis les années 1960 n’ont-elles rien donné? Et qu’en est-il des fautes d’orthographe? Est-il juste de dire que les jeunes ne savent plus écrire? Afin de prendre les bonnes décisions en matière de langue, que ce soit pour l’aménagement linguistique ou l’enseignement, il faut avoir l’heure juste.

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ENTREVUE

Mireille Elchacar est docteure en linguistique, professeure à la Téluq, l’université à distance du réseau des universités du Québec, et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke. Ses cours et ses recherches portent sur la lexicologie et la lexicographie, et abordent des points sensibles de la langue au Québec, tels les anglicismes ou les néologismes issus de revendications sociales ou politiques. Elle a une volonté de faire un pont entre les recherches sur la langue et les préoccupations de la société afin de faire tomber les préjugés sur la langue et en arriver à un discours plus positif sur le français québécois.

 

« Délier la langue » est un titre qui présume que la langue est liée. Liée par quoi/qui ?

La langue français est « liée » dans deux perspectives : le purisme et l’insécurité linguistique. Le purisme s’est créé à partir du 17e siècle, quand on a centralisé le français non seulement autour de Paris, mais aussi autour de l’élite. S’il est tout à fait bienvenu d’avoir une norme pour l’écriture, l’enseignement, la circulation des écrits, etc., le fait de s’attacher de manière excessive à des règles défiant toute logique (comme la règle d’accord des participes passés à la voix pronominale par exemple) n’est pas bénéfique pour la langue, même si c’est mu par un amour pour celle-ci.

Le résultat peut être l’insécurité linguistique : on se met à douter de notre utilisation de notre langue maternelle, parfois la seule qu’on connaisse. On se pose de manière récurrente des questions comme : ai-je fais une faute? ce mot est-il français? Cela peut même amener à se taire, à ne pas prendre la parole ou la plume en public.

 

Quel équilibre trouver entre « adapt[er] [la] langue à [l’] époque » (p.10) et continuer à exiger une rigueur nécessaire pour qu’une société continue à utiliser un même langage, écrit et oral ?

L’évolution n’est pas en opposition avec la rigueur.

L’équilibre, la langue le trouve toujours, sinon, elle disparait. Le français s’est adapté à son époque, et ce à toutes les époques depuis sa naissance qu’on fait remonter à 842. La variation de la langue, son évolution dans le temps est souvent perçue comme une dégradation ou une mise en danger pour le français, en raison de l’histoire de la langue et de sa centralisation excessive. Mais c’est le contraire qui serait dangereux : si une langue ne permet pas à tous ses locuteurs de s’exprimer en toutes circonstances, ils se tourneront vers une autre langue… l’anglais par exemple.

La question se pose par contre pour l’écrit, et c’est là un des principaux problèmes du français en ce moment. On a tendance à confondre la langue avec l’écriture. On pense que si on change l’écriture, on porte atteinte à la langue. Or il n’en est rien : langue et orthographe sont deux choses distinctes! Que j’écrive clé ou clef, il s’agit du même mot, avec les mêmes propriétés, le même sens, les mêmes caractéristiques syntaxiques.

Le problème actuel, qui paralyse le français, est qu’on n’a pas modifié son orthographe depuis des décennies – depuis des siècles même pour certains aspects. Ce qui est absurde : une langue doit évoluer, sans quoi elle disparait. Puisque l’écrit est une transposition de l’oral, il doit aussi être mis à jour régulièrement, ce qui est fait pour toutes les langues à écriture alphabétique du monde… sauf le français. On se retrouve donc avec une orthographe inefficace et qui, justement, manque de rigueur. Elle ne respecte plus le principe à la base de notre système d’écriture, le système alphabétique.

La volonté farouche de s’opposer aux changements orthographiques, les résistances face à l’écriture inclusive, les soulèvements contre les anglicismes font partie des préoccupations de ceux qui souhaitent laisser la langue telle qu’elle est, sans toutefois nier ses contradictions. Y’a-t-il eu, dans l’Histoire de la langue française, d’autres combats face à certains changements ?

Si aujourd’hui on s’inquiète des emprunts à l’anglais, durant la Renaissance, c’est à l’italien que le français empruntait massivement, ce contre quoi des voix s’élevaient à l’époque!

Les débats sur l’orthographe française ne sont pas récents. L’orthographe française, avec ses illogismes, ses lettres muettes et ses difficultés s’est créée sur des siècles. Et de tout temps, des voix se sont élevées pour demander de clarifier certains aspects. Au 17e siècle, deux camps s’opposant : celui de l’orthographe dite « savante » et celui de l’orthographe « miroir de la parole », jolie manière de dire « orthographe qui se rapproche davantage de la langue parlée ». Inutile de dire que c’est l’orthographe savante qui a gagné. Pas « savante » parce qu’elle est supérieure, loin de là (c’est une des moins efficace au monde). Savante parce qu’elle permet de « distinguer les lettrés des ignorants et des simples femmes », pour reprendre les mots de l’Académie française.

 

En 1977, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Roland Barthes proclame : « La langue n’est ni réactionnaire ni progressiste ; elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire. » Que pensez-vous de cette affirmation ?

L’idée que notre langue forge la manière dont nous pensons ne tient pas la route scientifiquement. On fait ce qu’on veut avec la langue. S’il manque un mot, on l’invente! Si on veut féminiser davantage notre manière d’écrire et de parler, on trouve des procédés! Ce sont les locuteurs qui contrôlent la langue, et pas l’inverse.

 

Quel rôle la francophonie peut avoir dans la « délivrance de la langue » ?

Un grand rôle je crois, surtout pour les pays qui ont le français comme langue maternelle. Au Québec, on n’a pas attendu que la France propose des noms de fonction, de métier ou de profession féminins : on les a créés nous-mêmes. On ne se reconnaissait pas dans la description du français faite dans les dictionnaires conçus en France, comme le Petit Larousse et le Petit Robert. On a donc créé le Usito, dictionnaire général du français québécois (créé ici même à Sherbrooke, et qui a dépassé le cap des 10 millions de consultations, partout dans le monde!).

Des nouveautés très prometteuses de dessinent pour l’avenir. Je pense aux changements proposés pour les fameuses règles d’accord du participe passé. Savez-vous que ces règles, et surtout ses exceptions, s’échelonnent sur 14 pages dans le Bon Usage de Grevisse? Le Conseil international de la langue française a proposé de clarifier ces règles pour les rendre plus cohérentes avec le fonctionnement réel de la langue : avec l’auxiliaire « avoir », le participe passé reste invariable. Dans tous les autres cas, il s’accorde avec le mot auquel il se rapporte.

Les premières associations d’enseignement à appuyer cette réforme sont celles de Belgique et du Québec. Et voilà que le 22 novembre dernier, l’Association française pour l’enseignement du français s’est ajoutée.

Cette réforme permettrait à l’orthographe française de gagner en logique et de devenir plus efficace en plus de dégager de nombreuses heures d’enseignement. Heures que je propose de de remplir par quelque chose de plus consistant. Que diriez-vous qu’on les reprennent pour en apprendre plus sur l’histoire de la langue français et du français québécois?

 

 

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