Le balado d’l’AAAE – La promeneuse, de Lise Blouin

Une femme vieillissante écrit, veut par-dessus tout continuer à écrire pour se sentir vivante. Son quotidien alterne entre séances d’écriture et promenades dans les rues de Montréal. Au fil des jours et des pages, son passé se précise : ses joies, ses échecs, ses frustrations, ses espoirs. Parfois, la solitude lui pèse. D’autres fois, elle lui donne la force de creuser dans ses souvenirs, de trouver les mots justes pour dire la vie dans ce qu’elle a de plus amère, mais aussi de plus beau.

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Entrevue

Romancière et nouvelliste, Lise Blouin est née en Estrie un 11 septembre. Comme pour nier la fatalité de la vie, elle écrit des fictions qui sont bien ancrées dans la réalité, celle d’individus, ses contemporains, en quête de sens aux liens qu’ils tissent, permanents ou éphémères.

C’est à l’Université de Sherbrooke que Lise Blouin a étudié, tant en pédagogie qu’en littérature. Une large part de sa carrière a été consacrée à l’éducation des adultes. Elle s’est prise au jeu de l’enseignement, publiant même nombre d’ouvrages pédagogiques.

En 1981, elle publie un premier roman, Miroir à deux visages, récipiendaire du prix du Cercle du livre de France, qui lui confirmera son talent de romancière. Dorénavant, elle n’aura de cesse de gruger dans son horaire pour privilégier l’écriture. Aujourd’hui à la retraite de l’enseignement, elle peut s’adonner entièrement à sa passion, qu’elle transmet. À travers l’animation d’ateliers de création à l’Association des auteur.es de l’Estrie et à l’Université du troisième âge, et la direction littéraire, notamment auprès des jeunes du Concours Sors de ta bulle, elle communique sa flamme.

Elle est l’auteure de 7 romans, dont plusieurs ont été lauréats de prix littéraires. Son roman L’Or des fous a été le plus remarqué, récoltant 3 prix. Son nouveau roman, La promeneuse, vient de paraître chez Lévesque éditeur.

Dans ses romans et ses nouvelles, Lise Blouin poursuit une recherche approfondie quant au sort réservé aux femmes et à la manière d’en parler. Les thèmes de l’amour et de l’amitié, de la folie, de la famille, de la création et de la violence y sont touchés. Dans son dernier roman, elle aborde le thème du vieillissement, que l’écriture magnifie.

 

Dans La Tribune, Steve Bergeron écrit que ce 7ème roman est probablement celui dans lequel tu t’es le plus dévoilée. Est-ce vrai ? Est-ce volontaire ou est-ce ta plume qui t’as guidé ?

Oui, c’est vrai. Mais il n’est pas écrit au Je. Tant que j’ai tenté de l’employer, le livre ne s’écrivait pas. Je ne trouvais pas le ton, mal à l’aise devant ce Je qui est le mien, et que je n’ai jamais employé dans mes romans. Narrer un roman au Je quand il est celui du personnage, ça va; mais le mien? Après la mort de mon frère, de 10 ans plus jeune que moi, j’avais besoin de faire le point sur mon parcours de vie dont l’écriture a été le moteur.

Ce livre comprend trois parties qui correspondent aux trois hivers d’écriture. C’est au cours du 2e hiver que j’ai abandonné le Je pour un Elle plus alerte, plus libre. Et le livre a consenti à s’écrire.

Derrière la promeneuse qui se questionne, c’est bien moi qui me demande quelle est la valeur d’une vie quand ses moments les plus intenses se passent en silence et dans la solitude de l’écriture.

La promeneuse est un livre où la fiction côtoie l’intime. Au fil des pérégrinations de la promeneuse qui sont parfois fictives, les réflexions, les souvenirs liés à l’écriture sont bien les miens.

 

 

« Elle craint que l’isolement nécessaire à sa création ait fait fuir la joie. La solitude crée cela. Une vie lisse. Sans remous, sans éclats. » Comment conjuguer les plaisirs simples de la vie et le besoin nécessaire et exigeant de la création ? Doit-on choisir et sacrifier ?

C’est vrai que j’ai toujours été partagée entre l’isolement nécessaire à la création et le plaisir de la vie au quotidien. Tant que mes enfants n’ont pas volé de leurs propres ailes, je devais m’obliger à dégager des moments pour la création. J’étais partagée, parfois je me suis sentie une mère égoiste. Parce qu’il est vrai que le plaisir, je le trouvais dans ces moments où je me dégageais de mes obligations de mère monoparentale. Partir trois mois par exemple, pour écrire le premier jet d’un roman, c’était d’une liberté sans nom! Un grand bonheur.

Une grande solitude aussi. Ce bonheur, je ne pouvais pas le partager. Et quand je réintégrais le cours de ma vie, je trouvais difficilement la même intensité que dans ce temps consacré à l’écriture. Mais je pouvais me permettre de vivre tous les plaisirs liés à l’accompagnement, aux rencontres, aux échanges, de les apprécier!

Et je me demandais quelle est l’essence de la vie? Dans l’austérité de l’écriture, si exigeante en isolement, ou dans la spontanéité d’un quotidien qui permettait de goûter au grouillement de la vie?

Cette ambivalence continue de m’habiter maintenant que je suis seule et à la retraite. J’ai toutefois trouvé un grand bonheur dans la transmission. Et depuis plusieurs années, je transmets ma passion de l’écriture par le biais d’ateliers de création. Je combine ainsi le besoin d’échange et le bonheur de la transmission.

Dans La promeneuse, je raconte cette ambivalence.

 

« Dans son réseau de veines étroites, de neurones usés, l’écriture circule encore. Les braises se raniment. » Quels feux continuent de brûler en toi ? Sont-ils tous écrivables ?

L’écriture de La promeneuse m’a ramenée au cœur de mon questionnement sur le sens, l’essence? d’une vie. L’écriture a été mon centre que j’ai projeté à travers 7 romans. Les personnages que j’ai créés ont émergé de mon expérience, de ma perception de la vie. Ils se sont imposés comme des messagers que mon inconscient abritait à mon insu. Je leur ai donné toute la liberté pour qu’ils puissent vivre leurs propres expériences. Ils m’ont surprise, étonnée que j’ai été devant la vie que je leur ai donnée, pourtant si différente de la mienne.

Ce surgissement de mon imaginaire opère autrement, me semble-t-il maintenant, sans étouffer pour autant le besoin d’écrire. Est-ce le grand âge, comme le questionne ma promeneuse? Est-ce le sentiment que l’horizon devant moi se rétrécit? Je ressens le besoin de poursuivre par l’écriture ma propre quête d’identité. « Qui est-elle? Le saura-t-elle jamais? », se demande la promeneuse.

C’est cette quête qui gouverne mon écriture présentement. Le prochain livre sur lequel je planche la poursuit, et spontanément le Je a pris cette fois-ci les rênes de l’écriture. Et pour une fois, je m’y sens à l’aise! Je ne veux pas écrire une autobiographie. Je tente plutôt de décoder les empreintes dans lesquelles nous posons nos pieds et celles que nous laisserons en partage. Dans le chaos du monde actuel, quel est le sens d’une vie? Voilà ce qui m’habite.

Est-ce que toutes ces réflexions sont écrivables, comme tu le demandes? Certes oui! Mais sont-elles publiables? Peuvent-elles rejoindre des lecteurs et lectrices? C’est une autre question…

Mais le feu couve encore!

 

Retrouvez la capsule audio sur la page du balado.