Je suis de la dernière branche de l’arbre, elle s’est cassée
bien trop tard. Croyait-on qu’il en restait beaucoup ? Va
savoir.
L’automne est passé, s’est nourri à ras bord. S’est gavé
pour plusieurs jours. Le temps a tracé ses sillons, fait don
de marques et provisions pour plus tard. Le vent est venu,
l’a giflé comme jamais auparavant. Je me suis détaché
de la branche. J’ai fui l’arbre. J’ai traversé le pont, sevré
le sein de mère. Ses larmes m’ont suivi jusqu’à la rive
opposée. Cri retentissant dans mon dos. Père a tourné le
talon, colère en étendard. Il redoute l’autre côté du pont
— moi pas. Fuir n’est jamais à rééditer.
Partir — ultime tâche sur liste de choses à faire. (dernier
acte inscrit dans l’urgence)
Quel pont me ramènera à moi sans relier une blessure à
une autre ?
Je suis de la branche cassée, il m’a fallu revenir la nudité de
l’arbre. Ne reste que le tronc à pleurer loin du mouchoir.
Larmes rouges. Un arbre nu est blessure que le temps
porte haut. Cet arbre m’aimait, désespéré. Je l’aimais
aussi, mais ne pouvais pour lui. Ni face au vent. Ni à
l’automne. Ni au temps. Désarmé et impuissant demeure
t-on quand faut-il secourir ses amours.
Je suis parti, j’ai attendu que l’arbre soit dénudé par le
funeste pour lui dérouler chanson d’amour. Quand
vient l’heure de chanter pour une cause, même les dieux
accusent retard. J’ai attendu qu’il agonise pour faire
montre d’appartenance. Attendu, pour paraître brave, que
sa bouche soit scellée par une main d’ombre.
Racines enfoncées dans les ténèbres s’éteignent à petit
feu.
L’arbre est mort. C’est ma blessure de trop. Peut-on
vraiment se libérer des cicatrices qu’on croit indélébiles ?
À quel moment cessons-nous de les porter comme un
fardeau éternel ?
Et pour revenir à soi, quel pont emprunter ?
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