Des histoires dans la tête

Il sommeille dans mon esprit des idées. Je sais que je ne suis pas le seul à vivre cette réalité. Quelque part aux confins de mon conscient et de mon inconscient, des histoires et des personnages gravitent dans l’orbite de ma mémoire. Ils accaparent souvent une bonne partie de mes facultés mentales. Je serai en chemin pour me rendre au travail et ces personnages entreprendront de dialoguer entre eux, ou de se lancer dans une folle aventure, ou simplement de se questionner sur la nature de leur existence. Ma tête est donc toujours en ébullition, habitée par ces constructions en devenir. C’est ainsi depuis ma tendre enfance.

Les histoires prennent plusieurs formes aussi. Quand j’étais enfant, elles se manifestaient sous la forme d’un jeu que j’appelais « Personnages » — je « devenais » ceux-ci à tour de rôle, les incarnant dans le monde réel en me prenant pour eux, me transformant en eux, parfois déguisé, parfois simplement comme cela. Je partageais aussi ces histoires avec des amis et je ne peux compter le nombre d’heures passées à courir dans le sous-bois en me prenant pour un superhéros, ou un personnage de science-fiction (les deux sont très proches l’un de l’autre, d’ailleurs).

Plus vieux, ce sont les jeux de rôles qui ont remplacé ces jeux d’enfants. Plus sérieux tout en restant ludiques, ces jeux-là se faisaient encore avec des amis. J’étais notoirement maître de jeu — je racontais une histoire à laquelle les joueurs (personnages) réagissaient. Mais le problème d’un public actif dans la création de l’œuvre (et le problème qui se présente quand les personnages sont autour d’une table et non dans notre tête), c’est que les réactions des personnages-joueurs nous paraissent souvent illogiques, ou ne vont tout simplement pas dans la direction attendue. Un maître de jeu peut facilement se frustrer dans ces circonstances.

Mes histoires veulent s’exprimer. Mes personnages veulent vivre hors de moi. Je leur ai donné vie dans ma jeunesse à travers mes jeux; j’ai permis aux histoires de croître entre les mains d’autres participants. Mais l’écriture personnelle — le fait de rédiger un texte, un récit qui contient mes personnages tels qu’ils existent dans mon crâne sans interférence externe — offre une tout autre possibilité dans la création. Et bien que j’adore toujours le jeu de rôle, il y a certaines histoires et certains personnages qui ne s’y conforment pas. Il y a des récits qui, en vérité, n’appartiennent qu’à moi.

Écrire est un acte potentiellement paradoxal. Le geste lui-même, la rédaction d’un roman ou d’une nouvelle, par exemple, se joue dans le domaine du privé. Seul à l’écritoire ou devant l’ordinateur, l’auteur couche sur papier ou sur écran des éléments de narration qu’il est le seul à posséder. Écrire est avant toute chose un acte égoïste que l’auteur s’accorde, et c’est bien mon cas. J’écris pour me vider l’esprit de ces idées qui s’y accrochent, et je découvre que de les externaliser me permet de m’en libérer. Certes, il reste bien d’autres récits potentiels qui s’y entreposent, car il est ardu de produire plus d’une histoire en simultané. J’écris donc pour me libérer l’esprit du délicieux fardeau que mes idées m’imposent.

Et pourtant !

Si on écrit que pour soi, alors on écrit dans le vide. Une fois que mes histoires ne sont plus dans ma tête, qu’en est-il d’elles ? Quelle est leur valeur si elles ne sont pas partagées ? Certes, ce ne sont pas tous les écrits qui sont dignes d’être présentés au public, mais chaque texte peut avoir une certaine valeur, déterminée par l’auteur, mais aussi par ses lecteurs potentiels. Mon auditoire personnel est très limité. En autopublication, je vends une cinquantaine d’exemplaires à chaque livre. C’est peu et en toute sincérité, je sais pertinemment que certains de mes lecteurs n’achètent mon bouquin que pour m’encourager et ne le liront pas (le fait de publier en anglais n’aide pas, mais j’y reviendrai).

Il reste que ce petit public m’est précieux — sa reconnaissance de mon talent ou ses efforts à m’encourager dans ma démarche me procurent la motivation pour continuer de m’y acharner.

Le paradoxe est ici : je n’écris pas pour mes lecteurs, mais ils sont ma motivation à poursuivre ma rédaction.

On me demande souvent pourquoi j’écris en anglais. Je ne réponds jamais exactement à la question, parce qu’en vérité, je n’écris pas en anglais délibérément. Je rédige dans la langue qui me paraît la plus appropriée pour le texte — souvent la langue dans laquelle l’idée m’est apparue. Bilingue depuis mon enfance, je vis entre le français et l’anglais, dans ma vie personnelle comme dans mon travail. J’accepte que l’inspiration se présente dans l’une ou l’autre langue, et si j’en connaissais d’autres, je me plierais à la même exigence. Certes, il me serait possible de forcer une idée vers une langue précise, ou même d’en faire la traduction (c’est un plan à long terme), mais pour l’instant, ma démarche me plaît.

Il en est de même pour mes choix littéraires. Je rédige principalement (mais pas exclusivement) en science-fiction ou en fantasy; ces genres m’attirent parce que je les connais bien, parce que j’ai grandi avec eux (fan de superhéros, de jeux de rôles, de séries et de films du genre). Ce qui ne m’empêche pas d’avoir de nombreuses idées potentielles pour des   thématiques   plus   réalistes dans  certaines œuvres. Mais un auteur ne peut écrire plus d’une œuvre à la fois – ou, du moins, c’est mon cas. J’ai donc choisi consciemment dans quels récits j’allais me plonger en premier.

Je pense quand même que la science-fiction et la fantasy nous permettent de toucher à des vérités humaines et sociétaires dans un contexte inventé. Les vérités que les récits peuvent véhiculer le sont autant dans des genres dits de l’imaginaire; parfois, ces vérités sont même plus faciles à accepter, car elles sont masquées par le contexte de l’œuvre. Je ne prétends pas révolutionner le monde avec mes idées, mais j’entends partager mes convictions et mes réflexions au sein des textes que je rédige.

Si je le fais par la science-fiction ou la fantasy, c’est beaucoup par familiarité et intérêt pour le genre. Mais encore une fois, ce n’est souvent pas moi qui décide — c’est l’histoire qui sommeille en moi qui impose le genre et la thématique, très souvent inconsciemment. L’effort d’écriture est celui que je consacre à donner une structure à des idées qui en sont dépourvues, à bâtir une histoire qui mérite d’être racontée et lue.

J’ai publié un recueil de nouvelles de science-fiction et une trilogie de fantasy. J’ai des plans pour une heptalogie fantastique et une pentalogie de science-fiction. J’ai de nombreux autres projets en suspens (dont un autre recueil thématique de nouvelles et une trilogie réaliste inspirée de faits réels). Ces textes me hantent encore, et vont le faire tant et aussi longtemps que l’encre (réelle ou virtuelle) n’aura pas souillé la page de son dernier mot, et que le texte ne sera pas sous sa forme finale.

J’écris pour me libérer de mes idées — ironiquement, chaque idée qui se détache de moi laisse la place aux nouvelles qui cherchent toujours à vivre. Mais c’est d’une relation d’amour dont je parle. L’amour de l’écriture.

Québécois de naissance, François Day s’espère citoyen du monde. Voyageur le long du Saint-Laurent durant son enfance, de Montréal à Québec, il a abouti à Sherbrooke au début de son adolescence et a laissé son âme errer dans les méandres de la cité. Titulaire d’une maîtrise en littérature de l’université de Sherbrooke, chèrement acquise et au péril de sa santé mentale, il traîne avec lui cet amour de l’histoire, de l’écriture et des mots depuis sa tendre et moins tendre enfance. (tiré du site Internet francoisday.com)


« Le monde de la réalité a ses limites ; le monde de l’imagination est sans frontières. »
Jean-Jacques Rousseau


 

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