Le bruit de la marmaille. 1950. Être une enfant sur la 8e Avenue, c’était vivre au milieu du bruit parmi des oncles, des tantes, une trâlée de cousins et de cousines. Ça ricane, ça se chicane, ça se court après. Ça crie sans arrêt. Une cour, recouverte de mâchefer, relie les deux blocs, propriétés de mon grand-père maternel. Durant les vacances d’été, ça grouillait jusqu’à la brunante: il y avait toujours des genoux écorchés vifs, une dent perdue, des vêtements barbouillés de charbon. Selon la météo ou le goût du jour, on jouait à la cachette ou au docteur, on s’inventait des spectacles de marionnettes; on sortait yoyos et catins, cordes à danser, fusils à pétards et chapeaux de cowboy. Les jours de pluie, les filles restaient longtemps penchées au-dessus d’un casse-tête pendant que mes cousins jouaient aux billes dans le garage. Qui sait quels mauvais coups ils planifiaient? Moi, je cherchais souvent un trou par où m’échapper. Le bruit de la marmaille m’agressait. Je ne comprenais rien à cette agitation et ça ne prenait pas goût de tinette que je remontais chez moi. Là, sur la plus haute marche de l’escalier, j’ouvrais un livre, je suivais à la trace un petit poucet, une Blanche-Neige ou une Alice, et je disparaissais pendant des heures au pays des merveilles. J’avais six ans, je venais tout juste d’apprendre à lire. J’étais grande déjà.
Jasette de corde à linge. Quatre familles habitent le même bloc. Les pères sont partis travailler. Sur la galerie, dans les corridors, dans les escaliers, ça file vers l’école. Ça rit, ça se court après, ça tire des tresses ou des bretelles, ça se donne des becs à pincette, des tapes sur les fesses: ça respire le bonheur. À huit heures apparaissent en même temps trois mamans en tablier, trois gros paniers de lavage, trois bouches fermées sur une épingle à linge. Une odeur d’eau de javel monte dans l’air frais. Les cordes se remplissent dans le silence: des draps rapiécés, des bobettes et des chaussettes usées, les robes et les pantalons de la marmaille. Sur les cordes à linge, on peut lire la vie qui bat. Le silence finit par se rompre. C’est toujours Simone qui part le bal. Penchée au-dessus de la rampe, elle annonce d’une voix rieuse que sa plus vieille va se marier en juin. Qu’elles sont toutes invitées. Oui, oui, avec les enfants. On va fêter ça dans la cour, pis des sandwichs et de la coleslaw, y en aura pour tout le monde. Elle ne jacasse pas longtemps, une autre brassée l’attend. Simonne n’est pas sitôt rentrée que les mauvaises langues se font aller. Ça s’est décidé don’ ben vite, sa Suzanne se marie-tu obligé, coudon?
Des pique-niques inoubliables. Chaque été, à la mi-juillet, les oncles et les tantes se donnent rendez-vous pour la traditionnelle rencontre de la famille élargie. Les autos arrivent par grappes : les cousines Grenier montent des États, les cousins Picotte descendent de Granby et le reste de la famille quitte les avenues du quartier Est de Sherbrooke. Direction : le Parc Victoria, où résident des orignaux, des lamas, et surtout… un ours polaire. On l’a surnommé Teddy Bear. Il a l’air malheureux comme les pierres dans sa fourrure d’un jaune douteux qui dégage une odeur pestilentielle. Nous, on préfère les balançoires, l’eau froide de la barboteuse, et la musique enlevante de l’orphéon. Mais rien ne bat l’heure du pique-nique. Sur des courtepointes défraîchies, nos mères ont étendu les nappes carreautées. Des paniers en osier, elles font apparaître des montagnes de sandwichs au baloney, au Kam et au concombre. Nos pères ont extirpé des coffres d’auto des glacières au ventre bombé. Dedans, des pots de Kool-Aid au raisin, des Molson bien froides, des bouteilles de Pepsi et un contenant de crème fleurette pour le shortcake aux framboises de ma tante Thérèse – son mari prétend que c’est le meilleur au pays et tout le monde l’approuve, certains allant même jusqu’à réclamer une deuxième portion! Quand je repense à ces parenthèses au Parc Victoria, tous les parfums de l’été me reviennent en mémoire : l’odeur des arbres, celle de l’herbe tendre, du Noxzéma, des relents du houblon et des boissons gazeuses. Ça sent bon le bonheur!
Chafouin. C’était un chat errant. Un peu baveux. Une espèce de petit bum qui passait ses nuits à se colletailler avec les chats du quartier. Personne ne connaissait son vrai nom. On l’appelait Chafouin. Aux aurores, quand il rentrait de sa virée, il trouvait toujours sur notre galerie un bol de lait frais. Mon père l’avait déposé là avant de partir pour la shop. Quand je me levais, je trouvais Chafouin assis sur ses fesses, une patte en l’air en train de débarbouiller ses moustaches. Je ne me lassais jamais de ce rituel. Une fois sa toilette terminée, Chafouin venait me rejoindre dans l’escalier. Il avait toujours quelque chose à raconter. C’était un voyou de la pire espèce. Une sorte de crapule qui étendait son territoire à coups de griffes et de morsures: il n’avait aucun scrupule. Malgré tout, je ne me lassais pas d’entendre le récit de ses épopées nocturnes. Un matin, le voilà qui arrive à la maison tout penaud, la queue collée aux pattes, le dos, le ventre, les aisselles, les cuisses, les oreilles, alouette, son corps tout entier est recouvert de chardons. Le pauvre Chafouin n’est que nœuds et gémissements. Alors, je ne fais ni une ni deux : couic couic couic. Longtemps il m’en a voulu pour cette coupe sévère qui lui a fait perdre sa superbe. Je me rappelle de la moue boudeuse qui ne le quittait plus, de son regard plein de reproches…
Quand elle n’est pas en train de lire, Pierrette Denault plonge dans son imaginaire. Parfois elle refait surface avec des éclaboussures d’enfance ou avec des morceaux d’épaves. Quelques-unes de ses nouvelles ont fait l’objet de lecture publique et/ou ont été publiées dans les revues Moebius, Virages, XYZ, Jet d’encre. Après avoir fait partie de l’équipe de Sors de ta bulle, son plus grand bonheur est aujourd’hui de collaborer au Journal de rue de l’Estrie dont elle est la présidente.
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